Cher Monsieur,
Veuillez excuser mon retard à vous faire partager les réflexions que m’ont inspiré leur lecture.
Vos deux ouvrages sont de véritables encyclopédies de l’inventaire matériel et médical de l’accompagnement et de l’inventaire de l’individu lui-même, face à son cheminement final.
Leur lecture est passionnante tellement on y côtoie de manière vivante et quelquefois vécue, les deux sujets.
Cependant on en mesure que mieux le gouffre qui sépare l’actuelle culture de l’immédiateté et le besoin d’une population qui a tout son temps….n’est pas pressée de mourir, a peur de la mort….et qui n’est pas productive.
Par ailleurs, si nous ne sommes pas capables (encore) de prolonger la vie en suffisamment bonne santé, n’est-il pas contradictoire de la prolonger au-delà du raisonnable par tous les artifices possibles et surtout, à quoi cela sert-il ?
Mais, bien entendu, où est la frontière du raisonnable et celle-ci peut-être « mise en loi »?
La médecine ne s’attache-t-elle pas à faire survivre, sans s’attacher assez à préparer en amont la prolongation naturelle de la vie, comme vous le faites dans votre domaine ?
Vous avez tellement de réponses qui posent question.
Mais aussi, que pèsent ces problèmes face à l’intelligence artificielle, la robotisation, la recherche, la découverte de l’espace ?
Certes, on peut espérer que les conditions matérielles de la prise en charge du grand-âge s’amélioreront et la pertinence de vos analyses y contribuera certainement, mais n’y aura-t-il pas toujours des retards récurrents entre le besoin, l’offre des parcours et des accompagnements de fin de vie. La robotisation subrepticement envisagée des tâches gériatriques, sera-t-elle vraiment un des moyens pour palier aux lacunes actuelles, si oui, comment l’aspect humain s’y intercalera-t-il ?
Certes la connaissance des mécanismes psychologiques, humains, sociétaux, familiaux de la vieillesse aideront les vieillards et leurs proches, à mieux appréhender ce qui les attend.
Mais si, en complément de cela, l’individu avait la modestie d’accepter la finalité de l’existence telle qu’elle se présente à lui, tout cela ne serait-il pas plus confortable à vivre ?
S’i l’individu s’appliquait mieux faire le bilan de sa vie et acceptait l’inéluctabilité de sa fin, cette fin n’en serait-elle pas mieux vécue, cette peur ancestrale de la mort, mieux acceptée ?
Si la religion, l’éducation, la société, ne contribuaient pas autant à l’entretien de cette peur ancestrale, quel serait notre rapport à la mort ?
Quelle est la part d’angoisse suscitée par l’illusion que nous et nos proches nous faisons de notre « indispensabilité », de l’affection « qui nous serait due » par l’âge, la hiérarchie, la reconnaissance…..
Quel est le poids, dans l’angoisse du départ, de la part du faux semblant de ce « déchirement souvent exagéré » de la séparation, que l’on évite de mettre en balance avec la part du « soulagement » de ne plus avoir bientôt à exagérer des sentiments, « pour faire plus vrai » ?
N’est-ce pas un aveu d’échec que de s’agripper et entretenir la douleur d’une séparation, pour masquer sa propre peur ?
N’est-ce pas une faiblesse que d’accentuer la séparation par des rites publics et privés, qui finalement ne prouvent que notre incompréhension de ce qu’est la finalité de l’existence ?
La mort ne devrait-elle pas nous sembler plus naturelle, plus dans l’ordre des choses ?
N’est-ce pas un immense orgueil que de rejeter notre ignorance, notre incompréhension plutôt que d’admettre ce que nous ne saurons sans doute jamais avec notre niveau de conscience actuel : la finalité de l’existence.
Pourquoi est-il si difficile de s’efforcer de vivre ce que veut la vie, tout simplement.
Le « n’ayez pas peur » de Jean Paul II, s’il était appliqué à notre seule propre finalité, ne deviendrait-il pas un des grands messages donné à l’humanité, dont nous aurions sous estimé le sens profond ?
Je vous remercie d’avoir d’une manière aussi intéressante, alimenté mes propres réflexions sur le sujet.
Je souhaite que mon message vous trouve en bonne santé et au plaisir de vous revoir bientôt.
Cordialement à vous et votre épouse.
Gérard PROCHASKA