Rencontre des coordonnateurs des sections Bac pro ASSP Lycée Jacques Duhamel – Dole – 29 novembre 2023
Les établissements d’hébergement des sujets âgés ont des problèmes de recrutement de nouveaux professionnels et il a été demandé aux institutions en charge de leur formation de prendre des initiatives pour valoriser les métiers de ce secteur d’activité et pour inciter les élèves et les étudiants à y postuler un emploi.Une première rencontre d’enseignants et de coordonnateurs des sections Bac pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) a eu lieu le 29 et 30 novembre 2023 et m’a permis de répondre aux questions suivantes :
Comment aider les enseignants à changer de regard sur le métier d’AS pour qu’ils puissent, eux-mêmes, convaincre les élèves de s’orienter vers ce métier ?
Comment se passe actuellement la prise en charge de la personne en perte d’autonomie en EHPAD (élargir les propos pour donner d’autres lieux d’accueil possibles et leurs modes de prise en charge) ?
Quelles pistes exploiter pour préparer les élèves aux PFMP (stages) par rapport au regard qu’ils peuvent porter et ce sans avoir peur de la vieillesse
J’y réponds dans une série de trois articles dont voici le second :
2. Comment se passe actuellement la prise en charge de la personne en perte d’autonomie en EHPAD (élargir les propos pour donner d’autres lieux d’accueil possibles et leurs modes de prise en charge) ?
Les deux étapes de l’admission des sujets âgés en EHPAD
L’admission du nouveau résident s’effectue en deux étapes. La première, la visite de pré- admission, est de la responsabilité de la direction et du médecin coordonnateur et se déroule suivant un protocole préalablement établi. La seconde plus informelle est à l’initiative des professionnels, qui après l’avoir accueilli dans l’établissement, vont prendre soin de lui et l’aider dans ses activités quotidiennes.
La visite de pré-admission
Son objectif principal est de s’assurer que la situation administrative, financière et médicale de la personne permet d’envisager favorablement sa demande d’admission, puis de répondre à ses questions et à celles de ses proches.
S’inspirant des recommandations de l’article D.312-155-1(1), chaque établissement, ou groupe de maisons de retraite, élabore une grille destinée à aider le directeur dans sa décision d’accepter ou de refuser une demande d’admission, en évaluant ses risques médical/soins, administratif/financier, organisationnel, éthique.
Cette visite est une bonne illustration du décalage existant entre l’état d’esprit et les attentes des sujets âgés qui se préparent à déménager dans un EHPAD et les impératifs de fonctionnement de l’institution.
L’accueil des nouveaux résidents effectué par les professionnels qui vont en prendre soin
Cette seconde étape s’effectue après l’arrivée du sujet âgé dans l’EHPAD. Elle est à l’initiative des professionnels chargés de prendre soin de lui et a pour finalité de connaître le nouveau résident et de l’aider à se familiariser avec son nouvel environnement. Elle est informelle et peut prendre plusieurs semaines.
Evaluation
L’évaluation met en évidence les différents enjeux de cette étape et nous l’avons effectué en consultant tour à tour les responsables des EHPAD, les résidents et les professionnels, en premier lieu les aides-soignantes, qui en prennent soin.
Les responsables
Suivant les recommandations de l’article D.312-155-1, leur objectif est de s’assurer que la situation administrative, financière et médicale de la personne permet d’envisager favorablement sa demande d’admission, ce qui demande d’aborder de nombreux paramètres et de mener l’entretien selon un protocole préalablement établi (2).
Ils regrettent que leur marge d’initiative soit limitée par l’obligation de respecter les lois et les règles des organismes de tutelle, et d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement et leur difficulté à prendre en compte les habitudes de vie et les demandes particulières des résidents.
Les résidents
Les sujets âgés qui demandent leur admission regrettent la perte de maîtrise de leur vie, se sentent en vase clos, s’estiment trop protégés. De leur immersion dans l’établissement, ils retiennent les impératifs de l’organisation, l’importance du planning des activités et des horaires de travail qui rendent difficile la prise en compte des habitudes de vie et des demandes particulières des résidents. Dés les premiers jours de leur arrivée, ils sont nombreux à déplorer cette situation.
« Chez eux ils avaient le choix de leur vie, plus de souplesse. Ici ils sont moins libres, on a plus tendance à leur imposer des choses, les contraintes de la vie en collectivité, des horaires de lever, de repas et des activités. »
« Ici on vous dit que vous êtes chez vous, mais c’est l’inverse. C’est à nous de nous adapter au rythme de l’institution. », « L’institution prend la liberté des résidents et il y a ensuite des règles à respecter ». Les obligations entraînent une « perte d’individualité » :
« Le résident passe dans la machine pour y être lissé comme les autres ». « Les horaires sont imposés et il n’y a pas d’accueil des animaux de compagnie. »
Lors de la visite de pré-admission tout va très vite et il y a beaucoup de non dits. Des questions importantes ne sont pas abordées et ni le sujet âgé et sa famille, ni les professionnels sont très à l’aise. Ce sont souvent les proches du sujet âgé qui s’expriment à la place de l’aîné et derrière des propos et des questions très pratiques on sent beaucoup d’émotion. Déstabilisés et en quête de repères, les sujets âgés aimeraient pouvoir évoquer les transitions et les ruptures auxquelles ils ont été ou sont confrontés, mais les préoccupations du directeur et du médecin coordonnateur qu’ils rencontrent sont très différentes de leurs attentes.
Les aides soignants
Dans un contexte soumis à de nombreuses contraintes, au manque de souplesse et au formalisme des procédures, les aides soignantes, les auxiliaires de vie et les aides médico- psychologiques disposent d’une marge d’initiative pour atténuer les conséquences de cette situation, proposer un accueil plus attentif au ressenti et aux attentes des nouveaux résidents.
Après la visite de pré admission, le personnel soignant ne sait pas toujours de quoi il a été question et il reçoit une information très succincte. « Nous les aides-soignantes on est un peu écartées de la première étape de l’admission et on se base sur l’observation des nouveaux résidents pour les découvrir peu à peu. Les collègues de nuit recueillent aussi beaucoup d’informations, et on devrait en tenir compte, les associer à notre réflexion. » Le temps d’observation et de recueil de données peut durer entre une à trois semaines.
« Au début il faut être prudent, ne pas aller trop vite, ni se tromper. Il ne faut pas forcer le résident, cela doit être de son plein gré. Le contact se fait à partir de pas grand-chose, d’un petit échange et les résidents se dévoilent aux personnes en qui elles ont confiance. On apprend beaucoup de choses par la suite. C’est au jour le jour. Nous sommes un relais entre les résidents les familles et la direction, mais on ne sait pas tout. »
Les familles sont aussi une source d’information et elles se confient volontiers. « Je profite du moment où les familles viennent installer les meubles pour leur parler.» Mais tout n’est pas parfait. L’accueil des résidents varie en fonction des jours et il est fréquent que, le jour de leur arrivée, les professionnels prévus pour leur accueil ne soient pas disponibles ou qu’ils recueillent des informations à un moment où d’autres tâches requièrent leur attention.
« Les soignants désignés pour le faire sont rarement détachés de leurs tâches habituelles et ils peuvent être vite pris par d’autres obligations. Il en résulte un accueil biaisé, « escamoté », ou quasiment absent. »
La relation établie par les nouveaux résidents avec les professionnels qui les accueillent atténue l’impression laissée par la visite de pré admission
Avant leur admission, la majorité d’entre eux vivaient seuls ou isolés. Leur état de santé demandait des soins fréquents, des séjours à l’hôpital pour des examens, des interventions, une rééducation.
La découverte d’un environnement très différent de celui qui leur est familier, entouré de beaucoup de personnes dont la plupart très âgées, leur donne une image de leur situation à laquelle ils ne sont pas préparés. Dans un contexte où ils manquent de repères, nombre de résidents cherchent à établir une relation privilégiée avec un, parfois deux professionnels de l’établissement et leur préférence ne tient compte ni de leur grade, ni de leur fonction. C’est avec ceux qu’ils voient tous les jours et qui les aident dans leurs activités qu’ils se sentent suffisamment en confiance pour évoquer les transitions et les ruptures auxquelles ils ont été ou sont confrontés, leur attitude et leur crainte par rapport au vieillissement, à la maladie et à la mort et leur choix doit être respecté.
Une comparaison avec les pratiques d’accueil aux USA
D’une première immersion dans un établissement d’hébergement de personnes âgées en France, on retient surtout les impératifs de l’organisation, l’importance du planning des activités et des horaires de travail qui rendent difficile la prise en compte des habitudes de vie et les demandes particulières des résidents.
Aux USA, la priorité de la maison de retraite de Longwood At Oakmont, dans la ville de Vérona (Ohio) est le bien-être des personnes qui y résident. « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’ils s’y sentent bien. Nous cherchons à savoir avant leur déménagement qu’elle était leur profession, leurs intérêts, dans quelle partie de Pittsburgh ils résidaient. A leur arrivée dans l’établissement, « nous prenons le temps de les accueillir en leur offrant une boisson, et en nous assurant de leur état d’esprit, comment ils vivent leur déménagement, s’ils n’ont pas de douleurs, se sentent en sécurité. Tout en faisant leur connaissance, nous leur proposons de visiter les lieux. Les nouveaux résidents se voient ensuite confiés pendant quelques semaines à un résident dont la fonction est de les aider à se familiariser avec les lieux, à s’acclimater à leur nouvelle demeure. Durant cette période, nous cherchons à connaître leurs attentes et nous les aidons à faire connaissance et à établir des liens avec d’autres résidents qui partagent leurs intérêts.
L’aumônier se donne quatre semaines pour les connaître d’une façon informelle, et après ce temps il essaye de savoir ce qui est important pour eux sur le plan spirituel, quelles sont leurs croyances, s’ils sont membres d’une communauté religieuse, et il leur donne un aperçu des religions présentes à Longwood, des lieux de culte et des représentants des différentes religions qu’on y trouve.
(1) L’article D.312-155-1 du code de l’Action sociale et des familles décrit la composition du dossier qu’une personne sollicitant une entrée en EHPAD doit adresser aux établissements de son choix cf. p.156
(2) « Chaque établissement, ou groupe de maisons de retraite, élabore une grille destinée à aider le directeur dans sa décision d’accepter ou de refuser une demande d’admission, en évaluant ses risques médical/soins, administratif/financier, organisationnel, éthique. Sont susceptibles d’être refusées les candidatures de personnes en fin de vie ou qui nécessitent la présence d’une infirmière 24h/24h, celles qui impliquent une lourdeur des soins ou l’accès à un dispositif médical qui dépasse les moyens de l’établissement, qui présentent des risques de prise en charge en urgence, ou qui peuvent porter atteinte à la sécurité des résidents et du personnel, compromettre le bien-être des autres résidents. »