Dans les critiques adressées aux EHPAD une proportion importante d’entre elles concernent des démarches qui ne sont que le décalque des choix de la société, de ses changements d’attitude et de ses hésitations concernant des aspects fondamentaux de l’existence, comme par exemple la place qui doit être donnée à la mort.
Autrefois le décès d’un membre de la communauté était un événement public, donnait lieu à un rituel qui rassemblait tous ceux qui l’avaient connu. De nos jours lorsqu’une personne âgée souffre et que son médecin traitant est embarrassé, elle est transférée à l’hôpital et elle finit souvent ses jours dans une maison de retraite médicalisée où elle décède à l’abri des regards. La mort de plus en plus discrète, ne perturbe plus les activités de la cité.
« Les corps sont plus rarement exposés, le deuil n’est pas porté, le langage est euphémisé (on parle de départ, de disparition, etc.) et la pratique de la crémation progresse. Alors que les morts étaient inhumés depuis des milliers d’années, la crémation est devenue un phénomène de masse en France en une génération. Aujourd’hui, 32 % des décédés sont crématisés (le mot incinérer est jugé trop trivial par les spécialistes). Le taux dépasse 50 % dans les grandes villes. »[1]
« D’une certaine manière, nous l’avons en effet exclue : elle était, naguère, une catastrophe permanente et présente. Elle est devenue beaucoup plus rare, donc moins familière. Elle a été largement cantonnée aux âges élevés de la vie. La mort est devenue affaire de vieux, et les vieux ont été vus sous l’angle de la mort. De ce fait, on a bien relégué la mort vers quelque chose dont on n’ose guère parler. » (Geneviève Laroque)
« Tout se passe comme si notre civilisation s’appliquait à rayer la mort de la vie…
Aujourd’hui, la mort est l’anti-vie, seuil absolu béant sur le vide, négation totale de l’existence. » (Thomas L.V. 1978 p. 63)
L’occultation de la mort dans les EHPAD
La mise à distance et l’occultation de la mort se retrouvent dans les attitudes et les conduites observées dans les établissements. Alors que dans un EHPAD qui héberge 80 résidents, on enregistre environ 30 décès par an, la mort dans ces institutions est généralement passée sous silence. En 2006, les ethnologues de la Maison des Sciences de l’Homme en charge du projet L’EHPAD pour finir de vieillir. Ethnologie comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique avaient constaté que « malgré la fréquence des décès la mort n’était pas inscrite dans l’ordinaire institutionnel des établissements ». « La mort, écrit Sébastien Doutreligne, est vécue comme un non-événement. La plupart du temps, c’est le silence qui entoure la disparition. La mort est non-dite pour préserver censément le « bien-être » des personnes hébergées. Ces dernières ne verront donc le corps inanimé que tout à fait exceptionnellement. Si on continue dans certaines structures à veiller le corps, ce moment reste le plus souvent solitaire. La mort demeure quasi clandestine et avant tout technique.[2] » (Doutreligne 2006 p.38).
Quinze ans plus tard, on relève toujours dans le EHPAD les mêmes précautions pour rendre la mort la moins visible possible. Moins de 24 h. après son décès, le défunt est transporté dans un funérarium et sa chambre est remise en état, prête à accueillir un nouveau résident. Seul témoignage de l’événement, une photo avec l’annonce de sa mort est épinglée dans le tableau d’affichage de la salle à manger et un livre de condoléances sur une petite table permet à ceux qui le souhaitent d’écrire quelques mots et de manifester leurs regrets. Et le soin pris pour nier la présence de la mort se traduit aussi par le peu de préparation des professionnels à sa survenue.
PASTORALE DES FUNERAILLES ET FAMILLES EN DEUIL
(Témoignage d’une laïque bénévole)
Il y a un an, j’ai rejoint l’équipe de Pastorale des Funérailles d’une Commune du Pas-de-Calais d’environ 26.500 habitants. La mission qui m’est dévolue consiste à accompagner les familles éprouvées par un deuil dans l’organisation d’obsèques religieuses, lorsque cette demande a été exprimée.
Si chaque rencontre est unique, pour la plupart des familles concernées, la mort demeure un sujet difficile à mettre en mots et à affronter. Nombreux sont ceux qui écartent systématiquement cette conjecture, confortant ainsi le sentiment de répulsion que notre société occidentale nourrit à l’égard de la mort.
Le phénomène de thanatophobie est plus répandu qu’on ne le pense. Il n’est pas rare de rencontrer des personnes pétrifiées devant la porte de la chambre funéraire de leur proche, expliquant leur incapacité à en franchir le seuil. Mais occulter la mort, ne la fait pas disparaitre et les familles endeuillées n’ont d’autre possibilité que celle de tenter, au moins jusqu’aux funérailles, d’apprivoiser ce processus indissociable de la vie.
Au sein de la Pastorale des Funérailles nous constatons que la célébration de funérailles religieuses fait place de plus en plus à une cérémonie civile au Crématorium ou sur le lieu même de l’inhumation. L’absence de pratique religieuse qui se généralise de plus en plus dans notre Société, n’est sans doute pas étrangère à ce constat. Néanmoins, lorsqu’un accompagnement religieux a été souhaité ou que cette volonté a été mentionnée dans le contrat obsèques signé avec la Société des Pompes Funèbres, force est de constater que les familles répondent à cette demande du défunt(e), nonobstant une gêne qu’il leur est parfois difficile de dissimuler.
La préparation de la célébration des funérailles se déroule en présence de la famille, généralement au funérarium, espace favorable au recueillement tout en permettant à la famille de se soustraire à la présence du corps du défunt au domicile jusqu’aux funérailles. Toutefois, dans 20 % des cas environ, ces rencontres s’effectuent au domicile du défunt où son corps est exposé dans le respect de la législation en la matière.
Face au recul constant de la pratique religieuse, il n’appartient pas à l’équipe de la Pastorale des Funérailles de se livrer à une quelconque forme de prosélytisme ou à adopter un discours qui se voudrait moralisateur. Il nous appartient plutôt de faire preuve de bienveillance à l’égard des familles endeuillées à travers des paroles de réconfort, d’espérance, de compassion sincère et désintéressée.
Quelles que soient les orientations religieuses de la famille du défunt, l’objectif des équipes de la Pastorale des Funérailles consiste à célébrer des funérailles dignes du respect dû au défunt(e) qui a exprimé le souhait d’être accompagné de l’Eglise au moment de son entrée dans une autre réalité.
C’est en cela que réside toute la richesse et la noblesse du ministère pour lequel nous avons été missionnés par l’Evêque du diocèse dont relève notre paroisse, ministère qui nous rappelle inlassablement combien la mort est une question centrale dans l’existence humaine.
Sabine Frackowiak
Le 15 mars 2023
L’inégale préparation des personnels et l’absence de directives sur la conduite à tenir lors d’un décès
Les équipes soignantes ne sont pas suffisamment formées à l’accompagnement des personnes en fin de vie et les différences d’expérience entre les professionnels sont importantes. Certains n’ont jamais effectué de toilette mortuaire et en ont peur et dans beaucoup d’établissements il n’existe pas de formation pour les y préparer.
Avant de prendre son service le personnel n’est pas systématiquement averti de la mort d’un résident. « J’ai vu les pompes funèbres ils viennent chercher qui ? » et au retour d’un week-end il est fréquent de trouver dans la chambre une nouvelle personne.
La chambre du défunt est débarrassée trop vite. Lemanque de temps, la pression du quotidien et les exigences de rentabilité, sont une fois de plus mis en avant. Rien n’est prévu pour permettre à ceux qui ont connu et pris soin du défunt de prendre le temps d’assumer son décès et il existe un flou quant à l’attitude et la relation à avoir avec les familles en tant que professionnel.
« Faut- il aller aux obsèques ? Mais sur quel critère choisir celle ou ceux qui vont y aller ? Comment ces professionnels vont-ils représenter l’institution ?
Il faudrait une personne volontaire qui représente l’établissement.
Ce ne doit pas forcément être un soignant qui assiste aux obsèques et il ne faut pas l’imposer. Il faudrait préciser les limites de notre rôle. »
Commentaire
Bien peu de personne songent à mettre en question ce changement d’attitude par rapport à la mort et pourtant elle a été depuis toujours et dans toutes les sociétés l’objet de croyances, de récits et de rassemblements et le besoin de rituel reste très fort chez les Français (75 % en souhaitent pour eux-mêmes et 77 % pour leurs proches). Si 40 % des personnes décédées sont crématisées, les endeuillés sont nombreux à ne pas savoir quoi faire de l’urne. ».[3]
Des différents registres de lecture de la confrontation de l’être humain avec la finitude, seuls les registres social et symbolique peuvent atténuer l’angoisse du mourant et aider la communauté à assumer le remplacement d’une génération par celle qui lui succède, ou selon l’image qu’en donne Joëlle Caullier, à accepter « l’éternel jeu de cache-cache entre la naissance des uns et la mort des autres. » (Caullier p. 195)
A l’inverse observe Pascal Hintermayer : « Ce qui contribue à accroître l’inquiétude face à la mort, c’est la perspective de devoir affronter cette épreuve tout seul, sans pouvoir s’appuyer sur ses proches, sans compter sur le soutien des autres hommes. Mauvaise est la mort qui survient lorsqu’on se trouve au loin, séparé de la communauté à laquelle on appartient. Beaucoup de cercueils traversent aujourd’hui les mers afin d’être rapatriés. Reposer parmi les siens, se mêler à la terre où l’on est né, rejoindre pour toujours les êtres et les lieux les plus chers, voilà des aspirations qui sont communément exprimées par les mourants ou qui leur sont volontiers attribuées. » (Hintermayer p.73)
[1] Gaëlle Dupont, Le Monde 01 novembre 2013
[2] Doutreligne S. 2006. « Regards ethnologiques sur les maisons de retraite », Horizons stratégiques, vol. 1, no. 1, pp. 98-111.
[3] « Au fil des récits de dispersion des cendres se dessine une galerie d’au revoir rocambolesques et de rituels bricolés. » Jane Roussel, Mamie repose en paix dans le placard de l’entrée, Le Monde 27/10/2022