Conférence du 18 janvier 2016
Introduction
Il existe plusieurs raisons une fois retraité, de rejoindre une association ou une entreprise se réclamant de l’économie sociale et solidaire : continuer à être utile, maintenir une insertion sociale, développer de nouvelles compétences, concrétiser des valeurs tenues en suspens le temps de l’activité professionnelle, éviter la solitude … Réciproquement les acteurs de l’économie sociale et solidaire ont besoin de l’expérience et du dynamisme des nouveaux retraités. Mais pour que ces derniers rejoignent une association, il ne suffit pas d’en vanter les mérites. Pour être réussie la démarche demande en premier lieu de mieux les connaître et d’adapter les pratiques de gouvernance des associations aux attentes des retraités. Tandis que Gérard Dechy va parler du renouvellement nécessaire des pratiques managériales de ces structures pour mieux les accueillir et valoriser leurs apports, mon exposé donne un aperçu des aspects de leur situation qui méritent d’être pris en compte.
Qui sont les retraités ?
Des personnes dont les besoins affectifs, relationnels et sociaux sont comparables à ceux des autres membres de la société, mais qui arrivées à ce stade de leur vie, sont ou seront confrontées aux transitions, aux crises et aux ruptures qui ponctuent le dernier tiers de l’existence. Si chaque individu est obligé depuis sa naissance de faire face à de nombreux changements, il s’agit dans le cas présent d’évènements dont une grande partie n’est ni souhaitée, ni anticipée et qui demandent de revoir son organisation de vie, de s’investir dans de nouveaux liens, de se trouver de nouveaux centres d’intérêts à un âge où il n’est pas habituel ni aisé de le faire. Cette perception de la vieillesse comme une suite de changements, de ruptures et d’adaptations, de remise en cause de soi, d’accumulation d’expériences et de découvertes, est récurrente dans les discours des personnes interviewées comme l’illustre ce constat de Madame F. 84 ans, ancienne enseignante, veuve depuis 10 ans :
« Il faut prendre la mesure de la complexité de notre situation : Arriver à se construire une nouvelle existence en renonçant à reproduire à l’identique ce qu’on a connu auparavant, accepter de se remettre en question, réaliser des projets longtemps mis en suspens, trouver un équilibre entre la part de son temps consacrée aux autres et celle réservée pour soi. Etre plus disponible pour ses proches, notamment en cas d’accident, de maladie, assumer les décès de personnes aimées et se retrouver ensuite avec ses souvenirs, des pensées qui n’ont pas pu être partagées et sans transition être sollicité pour résoudre des problèmes de succession. – Chaque année il y a de l’ordre à faire chez soi et dans sa vie. Trier, donner, jeter, prioriser, se recentrer. Tout ceci n’est pas facile, ne laisse pas indifférent. Il faut savoir trouver des moments pour y réfléchir, revoir ses projets immédiats et ceux à plus long terme. »
« Ce qui est difficile à nos âges, – ajoutera une autre participante à l’entretien Madame L. – c’est d’être dans l’obligation de s’adapter à un monde intérieur et extérieur en constant changement. »
Les constats de ces retraitées font penser à la thèse d’Erik Erikson, selon laquelle le développement de l’individu se poursuit tout au long de la vie et qu’il est marqué par une succession de crises qui mettent en jeu ses capacités à y faire face.
Evènements les plus souvent mentionnés [1]
- Le départ à la retraite
- L’accompagnement de ses parents âgés
- La relation de couple face à la maladie de l’un d’entre eux
- Les ruptures, les décès, la solitude
- Le déménagement en institution
- Les dernières années
Ces évènements renvoient aux trois dimensions : sociale, intergénérationnelle, personnelle, de la condition humaine. Le départ à la retraite interpelle la partie de la construction de soi initiée avec le choix d’un métier et l’entrée dans le monde du travail. L’accompagnement de ses parents âgés rappelle à l’individu sa place dans la chaîne des générations. L’accompagnement de son conjoint dans les années ou mois précédant son décès, sa capacité à tenir ses engagements, à maintenir une relation et une présence jusqu’à son terme, à se construire une nouvelle existence et à se confronter à la finitude. Pour illustrer l’impact de ces évènements sur la dynamique des personnes, on peut citer le départ à la retraite.
Le départ à la retraite
Le départ à la retraite est un moment important dans une trajectoire de vie. La retraite étant un évènement social, c’est la dimension sociale de la personnalité qui est fragilisée. Le passage apporte à une partie d’entre eux un grand soulagement, à d’autres retraités l’impression d’être entré dans une zone de turbulence. Se défait brutalement la partie de la construction de soi initiée au moment du choix des études ou de l’accès au premier emploi et poursuivi durant les années d’activité professionnelle. Par rapport au métier exercé auparavant, à tout ce que le sujet a acquis comme savoir et expérience, « pendant les quarante ans durant lesquels on a beaucoup trimé, on a la sensation que cela a perdu toute utilité et qu’on ne sert plus à rien. »
Rares sont ceux qui ont pressenti à l’avance ce qu’ils auraient à vivre. «. Cela n’a pas été un nuage noir mais j’ai d’abord ressenti une fatigue qu’il m’a fallu deux ans pour évacuer ». Ce constat de Monsieur C. rejoint celui de Madame S. « Il faut avoir vécu l’évènement pour se rendre compte » explique cette ancienne architecte « Pendant 6 mois j’étais mal, perte de clés, de carte bleue, des choses cassées. J’ai eu du mal à reconstituer ma carrière, j’oubliais des feuilles de paie. Je ne savais pas à quel organisme m’adresser pour me faire une petite retraite. Et puis quand tout a été fini, un émerveillement. J’étais à la retraite. »
L’importance d’un temps de réflexion avant de nouveaux engagements
La majorité des nouveaux retraités s’aperçoivent que leur vie passée ne les a pas préparé à choisir de nouvelles activités, un nouvel emploi du temps. Auparavant ils étaient immergés dans le quotidien et ils arrivent à l’orée de la vieillesse avec de multiples expériences mais sans connaissances utiles pour organiser leur nouvelle vie, ce que découvre Monsieur M. enseignant, six mois après son départ à la retraite.
« On se rend compte qu’avant de décider quoi que ce soit, il faut d’abord prendre le temps de réfléchir, de s’informer, ce qui suppose de se poser, de surseoir, de retarder les décisions. Il faut pouvoir résister à la pression intérieure, à l’inquiétude qui nous pousse à ne pas nous isoler des autres, refuser de saisir la première opportunité qui s’offre à nous de crainte d’être laissé de côté, s’extraire de l’influence de notre entourage qui ne nous voit pas avec notre regard, mais qui au vu de notre carrière, est sensible aux compétences dont on dispose et voudrait nous voir les utiliser et non pas à notre quête d’autre chose, d’authenticité, à notre besoin de nous arrêter pour réfléchir. »
Tenir compte de la diversité des intérêts des retraités
Les exemples sont multiples. Certains poursuivent leur activité professionnelle ou s’investissent dans de nouvelles fonctions. Monsieur R. 80 ans, pasteur protestant, célèbre à titre bénévole les offices dans les communes sans prêtre, participe à différentes commissions pastorales et à un groupe d’étude sur la Bible. Madame B. infirmière de 72 ans fait des remplacements de nuit, une solution pour rompre sa solitude, continuer à exercer son métier et recevoir un salaire d’appoint. Madame M., ancienne infirmière, est membre d’une association de lutte contre l’isolement assure des liens avec les membres de celle-ci, prend des nouvelles de leur santé, les informe des sorties organisées. Alors que le métier enferme la personne dans un rôle, le départ à la retraite est une opportunité de se découvrir et de découvrir les autres sous un jour différent. Ancien directeur des ressources humaines dans le secteur bancaire. Monsieur B., a rejoint deux associations d’aide à l’emploi.
« A 60 ans, j’ai changé d’activité, et me suis tourné vers les autres par souci de civisme et pour rester dans le coup. J’aide les jeunes à trouver un emploi. Je vois aussi tous les jours mon voisin, il a un cancer, je ne suis pas très à l’aise. Je l’ai aidé à réserver son caveau. »
D’autres reprennent des études comme Mm H. enseignante de 75 ans, en retraite depuis vingt ans.
« L’année où j’ai pris ma retraite, à la rentrée de septembre j’ai versé une larme en voyant les enfants aller à l’école tandis que moi je restais à la maison. Je me suis sentie soudain exclue de la société, inutile. Après un temps de réflexion je me suis inscrite comme étudiante libre à l’Université de la Culture Permanente (pour ne pas dire du troisième âge) de Nanterre, en littérature, histoire, anglais, espagnol. J’y ai trouvé plein de retraités comme moi. J’ai découvert l’amitié, la camaraderie. Je n’étais plus celle qui savait tout, mais j’étais avec des copains. Nous étions heureux d’apprendre ensemble. Plus de différence de classe sociale, un milieu très mélangé. Cette nouvelle vie m’oblige à travailler et à exercer la mémoire. Ça dure depuis vingt ans. »
La retraite est aussi une opportunité de développer des intérêts personnels. Monsieur N. ancien mineur, est membre d’une association de défense de l’environnement. Après la publication d’un glossaire de l’ancien patois de la ville d’Ottange-Nondkeil, il prépare un ouvrage sur les commerces de sa commune[2], participe à la rédaction d’une encyclopédie de la mine et de la sidérurgie. Monsieur M., ancien dessinateur industriel, est membre de la société historique de Carvin, co-auteur d’ouvrages sur l’histoire de mines du Nord et du Pas de Calais.[3]
Conclusion
Pour éviter la solitude, le repli sur soi, l’oisiveté, il est aujourd’hui conseillé aux nouveaux retraités de se trouver des activités répondant à leurs souhaits et ayant une utilité sociale, et de ce point de vue les associations et les entreprises du secteur social et solidaire ont un rôle important à jouer. Mais le passage de la vie professionnelle à celle de retraité est un moment important dans une trajectoire de vie. Bien vécu par une partie des retraités, il est une source de déstabilisation voire de traumatisme pour d’autres. Le départ à la retraite, comme opportunité de commencer une vie différente de celle menée précédemment, est un souhait partagé par une majorité d’individus, sans qu’ils aient toujours mesuré les changements qu’ils auraient à assumer. Interrogés sur les raisons de leur départ, nombre de retraités disent ne pas trop y avoir réfléchi auparavant, ne pas avoir pris la mesure de ce que signifiait pour eux d’arrêter de travailler. Ceci explique le décalage dont ils font état, entre ce qu’ils se sont imaginés et ce qu’ils découvrent une fois retraités. En prenant un peu de recul, il faut avoir à l’esprit que l’existence entre soixante ans et la mort comporte des évènements plus ou moins difficiles, qui modifient ou déstabilisent l’équilibre de vie des personnes concernées, leur demandent de mobiliser leurs ressources pour y faire face, et qui au-delà des changements, dont ils sont porteurs, et parfois du traumatisme qu’ils provoquent, constituent une initiation progressive à des aspects de la condition humaine, qui s’imposent de plus en plus au fur et à mesure qu’on avance en âge. Ceci explique que les associations qui les accueillent ne peuvent se limiter à leur proposer de nouveaux engagements, mais doivent aussi être attentives à la manière dont le passage a été vécu, être conscientes des autres transitions et ruptures du dernier tiers de l’existence et à leur impact sur la dynamique de vie des personnes.
[1] Le n° 121 de Gérontologie et société de juin 2007, intitulé « Ruptures et passages », présente une liste proche de celle-ci : le départ à la retraite, les réorganisations familiales, les accidents de santé, l’entrée en institution, le suicide, la prise de conscience de sa finitude, le décès d’un proche. Alors que la plupart d’entre eux sont l’objet d’une présentation spécifique, l’intérêt de la contribution de Christian Lalive d’Epinay et de Stéfano Cavalli, « Changements et tournants dans la seconde moitié de la vie » (Lalive d’Epinay, Cavalli 2007) est d’en présenter une vue d’ensemble et d’utiliser le terme de tournant pour identifier ceux qui ont conduits les sujets concernés à changer leur manière d’être et de penser. Quant à celle de Cyril Hazif-Thomas et de Philippe Thomas, « La démotivation du sujet âgé » (Hazif-Thomas C. et Philippe Thomas P. 2007), elle attire l’attention sur l’impact de ces évènements sur la dynamique de la personne
[2] Cf l’article « Les commerces Ottangeois au XXe siècle » publié dans Le Lien, Bulletin Municipal
d’Ottange-Nondkeil, n° 19 de janvier 2007
[3] Cf. Morin L., Minot J-M. et Duquesne A., Catastrophe de Courrières, Les grèves d’avril 1906, Société de Recherches Historiques de Carvin