En ce début d’année 2019, qui a vu le renouvellement du conseil d’administration et la nomination d’une nouvelle présidente, la lettre adressée aux adhérents de LVDN est l’occasion de faire le point sur les sessions Parcours de vie réalisées à ce jour, le contexte démographique expliquant leur création, les idées et méthodes toujours d’actualité, les changements qui se sont progressivement imposés.
Contexte démographique pris en compte
Il se caractérise par le contraste entre ce qui été appelé une révolution de l’âge et le retard de la société française à en prendre la mesure et à s’y adapter1.
Si les membres des générations actuelles d’aînés ont comme perspective de vivre jusqu’à un âge avancé, ils doivent le faire dans un cadre social très différent de celui de leurs parents et dans une société qui a négligé ou n’a pas voulu voir l’importance des mutations en cours. Considérés comme des pionniers par Peter Laslett, les sessions ont été conçues pour leur permettre de réfléchir et d’échanger sur leur expérience et les questions qu’ils se posaient.
Les idées et les méthodes toujours d’actualité
La place donnée à l’écoute, à l’expression des participants et à l’élaboration collective. Dès le départ les participants ont été considérés comme des sujets dont l’expérience de vie et la réflexion méritaient d’être pleinement prises en compte. Afin qu’ils puissent s’impliquer, donner forme et approfondir leur pensée, une pratique d’écoute et d’expression, écartant tout jugement, leur a été proposée, des modes de fonctionnement des groupes favorables à l’élaboration individuelle et collective mis en place.
L’écoute recherchée
Dans la vie quotidienne l’écoute est rarement sollicitée2. Si certains métiers demandent d’écouter, c’est pour choisir entre des options possibles, déterminer une conduite à tenir3. Pour saisir le sens et la portée de l’écoute dont il est ici question, il faut quitter le registre instrumental, pratique et rappeler le lien consubstantiel qui unit expression et écoute. Ce que dit ou cherche à dire une personne est en correspondance avec la qualité de l’écoute qui lui est proposée, ou plutôt avec la qualité de la présence de l’écoutant à l’acte de parole. De même qu’il n’y a pas d’évènement théâtral sans spectateur, la nature de l’attention portée à celui qui s’exprime a une incidence sur ce qu’il va énoncer et découvrir en prenant la parole. Pour jouer pleinement son rôle l’écoute doit être une écoute active, une invitation adressée à celui qui prend la parole de présenter et poursuivre sa réflexion, être une attente qui tout en respectant le rythme et le temps dont a besoin la personne pour mettre en mot ce qu’elle ressent et ce qu’elle pense, évite d’être intrusive, est un encouragement et un appui pour qu’elle approfondisse et précise sa pensée, tire un enseignement de ce qu’elle vient d’énoncer.
La place donnée à l’expression orale et écrite
Etre invité à décrire les évènements marquants de sa trajectoire de vie et les questions qu’ils posent, les présenter aux autres membres du groupe et répondre à leurs questions, permet d’interroger le sens et la portée de ce qu’on vit, les objectifs que l’on poursuit, de mieux comprendre ses modes de fonctionnement. En préparation et à la suite de leurs prises de parole, des temps de réflexion individuelle écrite sont proposés aux participants4 pour leur permettre de mettre en perspective et de préciser leur pensée, de disposer de repères pour suivre leur progression et celle du groupe.
Le groupe comme lieu privilégié d’élaboration individuelle et collective
Faire appel à ce dispositif demande de prendre en compte le rôle et la signification symbolique de ce type de réunion et d’avoir réfléchi à la gestion de sa dynamique relationnelle. Enveloppe de protection par rapport au monde extérieur, le groupe favorise et donne une nouvelle dimension à la parole de chacun et à l’élaboration collective. Afin que ses participants puissent se centrer sur la tâche à réaliser, ses objectifs doivent être clairement énoncés, un climat favorable, à l’expression, à l’écoute et à la créativité être instauré. Formulé plus précisément, configurer le groupe comme un lieu propice à l’étude de sa trajectoire de vie et des questions que l’on se pose, implique de lui indiquer les buts qu’il doit poursuivre, les thèmes à travailler et de neutraliser les phénomènes d’opposition et de rivalité, les régressions dans l’imaginaire groupal, tels qu’ils ont été décrits par Didier Anzieu ou René Kaes5. Après l’énoncé des règles de liberté de l’expression et de confidentialité des échanges, le rôle des animateurs est d’être attentif à la qualité de l’écoute et au climat relationnel du groupe.
Ce qui a changé dans les thèmes et le déroulement des sessions
Les premières sessions initiées en 2005 étaient intitulées être sujet, acteur de sa vie au grand âge et proposaient une réflexion individuelle et collective sur les transitions et évènements de la troisième partie de l’existence: réorganiser sa vie après sa retraite, prendre soin de ses parents âgés et de ses proches, faire face à la maladie et au vieillissement, se situer dans la chaîne des générations. Les sessions permettaient de sortir de son isolement pour mieux comprendre et faire face aux situations et aux changements qui se présentaient, de retrouver de l’énergie et de considérer autrement cette phase de l’existence.
Désormais nommées Parcours de vie, les sessions ont toujours comme objectifs de faire le point et de tirer un enseignement de son passé, et de réfléchir à son existence présente et future, aux priorités et au sens que l’on souhaitent donner à sa vie, en bénéficiant de l’expérience et de l’écoute des autres participants. Mais d’un parcours collectif sur des thèmes prévus à l’avance, on est passé progressivement à une démarche plus individuelle et diversifiée, chaque membre du groupe choisissant, en fonction de sa situation, de son âge et de ses préoccupations du moment, les situations et les questions qu’il souhaite aborder. Autre innovation récente dans le déroulement des sessions, en préalable aux temps de réflexion sur les changements et nouveaux projets qu’ils souhaiteraient réaliser, après avoir précisé les charges et les obligations que leur incombent, les participants sont invités à porter leur attention sur la manière dont ils assurent leurs engagements, et aussi sur les freins et les obstacles qui réduisent leur disponibilité d’esprit et leur liberté d’action, sur les relations négligées ou en suspens avec leurs proches et leurs amis, les regrets et les malentendus, sur tout ce qui les empêche d’envisager et de vivre plus sereinement ce temps de leur existence et de tirer profit de leur créativité.
1 Voici la lecture qu’en ont donné les participants aux Rencontres sur le vieillissement organisées en juin 2001 par le Ministère de la recherche (Gorgeon C. et Léridon H. 2001) : « Le décalage entre le rythme, rapide, des changements et l’inertie ou la lenteur de l’évolution des représentations collectives est d’autant plus net aujourd’hui que nos sociétés ont connu, au cours des quarante dernières années, une révolution de l’âge de la vieillesse sans précédent historique par son ampleur et sa rapidité… Or notre société n’a pris conscience que très récemment de l’ampleur du phénomène (y compris les sciences sociales) et n’en a pour l’instant pas tiré de conséquences sur le plan collectif » (Bourdelais P. et Henrard J.C. 2001 p.27).
2 « C’est d’ordinaire avec notre être réduit au minimum que nous vivons ; la plupart de nos facultés restent endormies, parce qu’elles se reposent sur l’habitude qui sait ce qu’il y a à faire. » Proust M., A l’ombre des jeunes filles en fleurs, A la recherche du temps perdu, éditions Gallimard, 1954, p. 656
3 A noter que cette manière de concevoir l’écoute renvoie au sens étymologique du terme, dérivé du bas latin ascultare altération du latin classique auscultare Au début de l’année 1818, le docteur René Théophile Laennec invente un nouveau moyen d’écouter le cœur et nomme son instrument stéthoscope (du grec stêthos, poitrine, et de scope du grec skopos, de skokein, examiner, observer). Le 15 août 1819, il publie son livre De l’auscultation médiate, ou Traité des diagnostics des maladies des poumons et du cœur fondé principalement sur ce nouveau moyen d’exploration.
4 « Ecrire, c’est déjà affirmer une existence. C’est s’interroger, se chercher, se perdre et se retrouver… L’écriture, lente domestication qui implique des choix, des tris, transforme une vie…refusant l’imprécis, elle invite à la résolution. C’est un construit. » (Puijalon B. 1996 p. 146)
5 Sur le plan historique le référent des formations à la dynamique de groupe, encore appelés groupes de rencontre, est l’équipe au travail le commando militaire, l’équipage d’un bombardier, le monde de l’entreprise et celui de l’armée. Leur finalité est la mise en évidence des phénomènes de domination, de solidarité, d’alliance et de rejet qui se manifestent dès lors qu’on recherche la collaboration de plusieurs individus à une tâche commune. Cf. voir Bion W.R. 1965, Recherches sur les petits groupes », Paris, PUF, Pagès M. 1968, La vie affective des groupes, Paris, Dunod, Anzieu D. 1981, Le Groupe et l’Inconscient, Paris, éd. Dunod, Anzieu D. et Martin J.Y. 1994 La Dynamique des groupes restreints », Paris PUF.