Dans la suite des préconisations concernant la formation des directeurs des EHPAD, voici un aperçu de la méthode retenue pour en moderniser les pratiques et le fonctionnement.
La nécessité d’une réactualisation des pratiques et du fonctionnement des EHPAD bénéficie d’un large consensus, et les études et les rapports récemment publiés[2] présentent une multiplicité de propositions qui retiennent l’intérêt. Mais faute d’idées directrices, d’ordre de priorité et d’évaluation de leur faisabilité et de leur coût, ces propositions risquent de n’être que partiellement retenues ou que leur mise en œuvre ne soit indéfiniment retardée[3]. Nous sommes partis du changement des modes d’accompagnement des personnes âgées qui s’est produit à partir des années 1950 et nous avons réfléchi avec des professionnels des établissements d’hébergement de personnes âgées aux mesures que ce changement demandait de mettre en œuvre.
Un changement de pratique sociale sans précédent dans le passé
Jusque dans les années 1960, dans la majorité des régions de France, plusieurs générations vivent sous le même toit et l’accompagnement des dernières années de vie d’un parent âgé suivait un protocole transmis d’une génération à la suivante[4]. Lorsque son état de santé se dégradait, il était alité, entouré de ses proches et parfois des sœurs d’un ordre religieux. Les voisins, le médecin de famille et dans les derniers jours, le notaire et le curé venaient lui rendre visite. L’ambiance était solennelle, chacun savait comment se comporter. Après son décès une messe et une cérémonie au cimetière étaient organisées[5].
Mais dans la seconde partie du XXe siècle l’idée que les membres d’une même famille pouvaient être constamment sous le regard des autres, vivre et dormir à plusieurs dans la même pièce, est devenue inacceptable et de nouvelles conceptions d’épanouissement des individus se sont imposées[6]. A l’image des membres des classes sociales aisées, chacun devait bénéficier d’un espace privé pour étudier, lire, se divertir, communiquer avec l’extérieur, recevoir et se distraire à l’abri du regard des autres membres de la famille.
Ainsi le développement des aspirations individuelles, la pression pour que chacun devienne acteur de sa vie, phénomène en phase avec l’évolution économique et technique des quatre dernières décennies auxquels s’ajoutent l’affaiblissement des convictions religieuses et le nouveau rôle de l’hôpital, ont abouti à un affaiblissement des liens entre les générations et à de nouveaux modes d’accompagnement des aînés. Lorsqu’ils ne sont plus capables de prendre soin d’eux-mêmes et qu’ils sont isolés, une proportion importante des aînés sont désormais contraints de déménager dans un EHPAD où ils séjournent quelques années avant d’y mourir. De familial et social, leur accompagnement est devenu médical et soignant.
Le défi auquel les EHPAD sont confrontés
Le suivi de l’état de santé des personnes hébergées et les aspects matériels de leur séjour ont été l’objet d’initiatives importantes ces dernières années. Mais ce que représente ce changement pour les personnes, les mesures à prendre pour en atténuer le traumatisme et pour les aider à maintenir des liens avec leurs proches, prévenir l’apparition d’attitudes de repli, une démotivation, voir une perte d’envie de vivre, n’ont pas bénéficié à ce jour de la même attention.
Objectifs découlant de ce constat
Faire des EHPAD des institutions plus à l’écoute des attentes des résidents et des familles. Où à côté d’une plus grande ouverture sur la vie et sur les liens et les activités de la cité, l’aide à apporter aux résidents dans leur confrontation avec les transitions et les ruptures de ce temps de l’existence, avec la finitude, la séparation et la mort, font partie de leurs objectifs, des programmes de formation et des compétences de leurs personnels.
Démarche adoptée
Pour identifier les pratiques et les dispositifs à revoir et déterminer les mesures susceptibles de les améliorer, il aurait été logique de consulter les résidents et leurs familles. Mais les résidents hésitent à accorder leur confiance à des intervenants extérieurs et s’abstiennent d’émettre des critiques de crainte de représailles, et une partie d’entre eux ont une pathologie qui limite leurs capacités d’expression. Quant au recueil de l’opinion des familles, le dispositif spécifique qui existe dans les établissements, ne donne pas les résultats espérés. Notons aussi que ces personnes n’ont pas une vision d’ensemble du fonctionnement des maisons de retraite.
Prenant acte de ces données, nous avons fait appel aux professionnels des établissements, et notamment à ceux qui du fait de leur relation avec les résidents, sont le plus à même de recueillir leurs avis, leurs observations et leurs souhaits et de proposer des changements qu’ils mettront d’autant plus aisément en application qu’ils en auront été les auteurs. Pour qu’ils répondent au mieux à notre demande, une formation leur a permis de se familiariser avec une écoute centrée sur la personne et à prendre conscience de son utilité, ou comme l’a observé une participante à l’étude : « En EHPAD les résidents peuvent avoir l’impression de n’être plus bons à rien et le manque d’écoute peut générer de l’angoisse, voire des troubles du comportement. En les considérant en tant qu’individus uniques avec une histoire de vie qui leur est propre, on leur redonne une considération que parfois ils pensent avoir perdue. »
[1] Arbuz G. Gonthier R. 2022 « Méthode adoptée pour conduire la recherche », Les EHPAD et leur avenir pp.270-276 Paris Editions LIBRINOVA
[2] Cf. Rapport d’information de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale, Monique Iborra et Caroline Fiat, la concertation Grand Age et autonomie sous la direction de Dominique Libault, le rapport de Mission sur les Unités de Soins de Longue Durée et les EHPAD de Claude Jeandel et Olivier Guérin
[3] A l’issue du conseil des ministres du mercredi 8 septembre 2021, le Premier ministre Jean Castex a tenu des propos qui mettent fin à la possibilité d’un vote d’une loi « grand âge » d’ici la fin du quinquennat (2022), en déclarant que le gouvernement compte proposer des « mesures nouvelles » pour « renforcer » la branche autonomie de la sécurité sociale.
[4] « Pendant de nombreuses décennies, la vieillesse correspondait à une reproduction des modes de vie des générations antérieures, ne serait-ce que parce que les marges de manœuvre des individus vieillissants étaient très restreintes. Le cycle de vie imposait aux individus une place et un rôle bien déterminés en fonction de leur âge. Une telle identification, ou plutôt une telle reproduction sociale, est aujourd’hui remise en cause. » 24 janvier 2011, De l’identification à l’expérimentation, Dominique Argoud, Université Paris-Est Créteil, Martine Chazelle, CLIC du Diois
[5] « Jusqu’à la guerre de 1941, dans tout l’occident, écrit Philippe Ariès, la mort d’un homme modifiait solennellement l’espace et le temps d’un groupe social qui pouvait s’étendre à la communauté tout entière, par exemple au village.On fermait les volets de la chambre de l’agonisant, on allumait les cierges, on mettait de l’eau bénite ; la maison se remplissait de voisins, de parents, d’amis, chuchotant et graves. Le glas sonnait à l’église d’où sortait la petite procession qui portait le Corpus Christi… La mort était un fait social et public. Le groupe social avait été atteint par la mort et il avait réagi collectivement en commençant par la famille la plus proche, … » (Ariès p.553)
[6] « Les années 1970 constituent une période charnière. L’idée que chacun est le propriétaire de sa propre vie commence à s’imposer sociologiquement. L’homme de masse est en train de devenir son propre souverain. Son horizon est l’autogestion de sa vie », écrit Alain Ehrenberg dans La Fatigue d’être soi (Ed. Odile Jacob, Poches, 2000) à propos de ce qu’il intitule la « dynamique d’émancipation ».