Une révolution des concepts et des représentations
Outre son impact sur la partie âgée de la population, la révolution de la vieillesse bouleverse nos représentations du dernier tiers de la vie. Pendant des siècles a prévalu l’idée que le déroulement de l’existence était soumis à un déterminisme aussi rigoureux que celui de la trajectoire des planètes1 et la vieillesse était perçue comme la dernière étape de l’existence. La vie humaine était conçue comme un passage par une série d’états : 4 ou 7, si l’adulescentia était divisée en trois. « Le chiffre 4 a le mérite de s’intégrer dans le système du monde fondé sur les quatre éléments, les quatre humeurs, les quatre saisons, les quatre tempéraments ». 2 Saint Augustin retient le chiffre 7 pour les âges de la vie parce qu’il correspond aux 7 âges du monde, extension des 7 jours de la création. Le remplacement du concept de vieillesse par celui de vieillissement, défini comme un phénomène génétiquement déterminé, mais modulé par les interactions de l’homme avec son environnement, social, culturel, familial, a conduit à une représentation toute autre, comme en témoigne cette citation :
« Le vieillissement affecte l’homme dans sa totalité, dans son unité, dans ses fonctions biologiques, physiques et mentales… Il procède d’un déterminisme génétique mais il varie selon le milieu social et les conditions de vie. Atteignant tous les systèmes de l’organisme, le vieillissement est multi systémique. S’il utilise des mécanismes communs à toutes les espèces, c’est un phénomène dynamique qui touche tous les niveaux du vivant, de la cellule jusqu’aux niveaux les plus intégrés de l’organisme, comme le comportement. » (Legrand, Tréton 2001 p. 8)
Outre ce changement, trois résultats des recherches contemporaines retiennent l’attention : Les processus en jeu dans le vieillissement exercent leur effet tout au long de la vie, les être humains ne sont pas égaux face au vieillissement, l’environnement a un rôle dans la manière dont l’individu subit l’action du temps.
Des processus à l’œuvre très tôt dans l’existence
Dans les années 1950, l’idée d’un « palier » de relative stabilité, débutant à la fin de l’adolescence et se prolongeant durant l’âge adulte, pendant lequel l’individu dispose de la plénitude de ses moyens physiologiques et psychologiques, est rejetée. François Bourlière, remplaçant sénilité par sénescence, désigne par ce terme les modifications morphologiques et psychologiques consécutives à l’action du temps sur les êtres vivants. La sénescence loin d’être une caractéristique de la dernière phase de la vie, se manifeste très tôt dans l’existence. Voir son ouvrage Sénescence et sénilité paru en 1958 (Bourlière 1958).
Les membres d’une même classe d’âge ne sont pas égaux face au vieillissement
Les personnes ayant le même âge, ont un patrimoine génétique différent qui influe sur leur longévité et leur susceptibilité aux maladies. Chaque tissu, chaque organe, vieillit à son propre rythme. C’est par l’accumulation de multiples vieillissements catégoriels que l’on devient vieux. Les différences de performances entre les personnes augmentent avec l’âge, et ces différences sont en lien avec des variables identifiables. S’ajoutant à cette donnée biologique, d’autres facteurs expliquent les différences de situation constatées au sein d’une même classe d’âge : l’éducation reçue, le positionnement social, le niveau d’étude, les emplois occupés, le mode de vie, la situation familiale, l’aisance matérielle…
Le rôle de l’interaction avec l’environnement
Le vieillissement par des processus intrinsèques de l’organisme peut être accéléré ou induit par des interactions avec le milieu extérieur. Le vieillissement cutané est induit par l’exposition au soleil, le vieillissement cognitif modulé par des facteurs sociaux comme l’isolement, l’acculturation, la sédentarité. Il est considéré aujourd’hui « non comme un simple déclin, mais comme une évolution adaptative qui résulte de l’interaction entre le sujet et l’environnement tout au long de sa vie : c’est le modèle biopsychosocial. » (Lemaire, Bherer 2005 p.229). Selon Patrick Lemaire et Louis Bherer, les facultés intellectuelles des membres d’une même classe d’âge ne sont pas affectées dans le temps d’une façon équivalente. Leurs règles de vie, leurs coutumes, l’environnement dans lequel ils évoluent, leurs conditions de travail, font qu’ils vieillissent différemment les uns par rapport aux autres.
Les enseignements découlant de ces données
La relativisation du critère de l’âge
Il n’y a pas de seuil d’entrée dans la vieillesse. Les gériatres distinguent au sein de la population âgée : les fit elderly, les frail elderly, les too old… (Gonthier 2003). Sur le plan médical les fit elderly sont soignés comme les adultes, seuls les patients âgés dont l’état de santé est qualifié de fragile, et ceux dont le pronostic de vie est engagé, relèvent de soins particuliers. Sur le plan psychologique la barrière instaurée au début du XXe siècle par les premiers psychanalystes, entre la phase adulte et celle de la vieillesse, a été également écartée.
L’abandon d’une vision figée et ségrégative de cette partie de la population
L’idée qu’à partir d’un certain âge les personnes rentrent dans une catégorie spécifique, celle des vieux, des personnes âgés3 ou des seniors est devenue obsolète. Les aînés sont des personnes comme les autres. En l’absence de pathologies invalidantes, ils continuent à mener une vie autonome, à utiliser et développer les connaissances acquises durant leur vie, ont les mêmes besoins affectifs et sociaux que le reste de la population. Ils ne sont pas différents, mais en avance sur les autres sur le chemin de la vie. Méritent en revanche de retenir l’attention, les particularités du chemin qu’ils ont à parcourir.
Georges Arbuz
1. « C’est en un sens très fort qu’il faut prendre cette idée de la Renaissance et du XVIIe siècle selon laquelle tout objet, et l’homme notamment, est microcosme ; cela ne signifie pas seulement qu’il est organisé comme un monde, mais qu’il a la même structure que la totalité dont il est simultanément et le reflet et l’inversion. » Misrahi R. 1969 Lumière, commencement et liberté, Paris Plon, p. 85 ↩
2. Gutton J.P. 1988, – Naissance du vieillard, Paris, Aubier collection historique, p.12 ↩
3. Dans son rapport de 1962, la commission d’étude des problèmes de la vieillesse, réunie à l’initiative de Michel Debré et présidée par Pierre Laroque, remplace la notion de vieillesse par celle de personne âgée fondée sur le seul critère de l’âge légal de départ à la retraite (65 ans à l’époque). ↩