Vivre ensemble
A ceux qui s’interrogeraient sur l’utilité et le sens de la présence des anciens à côté des plus jeunes dans nos cités, il faut conseiller d’aller visiter des villes comme Varsovie, Berlin, Dresde ou Cologne. Construites après la guerre sur les décombres et les ruines, tout y est neuf, pimpant, fonctionnel. Rien n’y rappelle le drame qu’elles ont connu, le cadre de vie des générations précédentes, sinon une plaque au coin d’une entrée de métro, un monument sur une place, un musée. Il y manque ainsi l’essentiel, la présence, les liens et la continuité, les symboles et les vestiges du passé nourricier du présent. En marchant dans les rues on ressent un malaise. Sur le devant des façades, d’autres façades viennent s’interposer, celles de la ville d’avant guerre, que l’on voit sur les vieilles photos, les documentaires et les actualités de l’époque. Absents aussi des rues tous ceux qui ont été exterminés ou fauchés par la guerre et qui n’ont pas pu vieillir et voir grandir ceux de leurs enfants qui ont échappé au désastre. Sur les photos qui nous restent d’eux ils apparaissent jeunes pour toujours, sans que jamais nous puissions compléter les quelques souvenirs qui nous restent de leur vie, de ce qu’ils auraient pu être et devenir plus tard si les circonstances leur avaient accordé de vivre jusqu’au bout leur destinée d’être humain. Et ainsi du fait de la coupure instaurée entre les générations, la vie de l’une s’étant brutalement arrêtée, la vie de l’autre est comme suspendue dans le vide elle aussi.