Transition démographique et révolution de l’âge de la vieillesse : que faut-il en retenir ?

Introduction

 

La transition démographique ([i]), les avancées sociales et médicales du dernier demi siècle ([ii]), ont transformé les conditions et le déroulement du dernier tiers du parcours de vie, tandis que les progrès de la connaissance des facteurs en jeu dans le vieillissement ([iii])[1] ont relégué aux oubliettes nombre de certitudes. Dans un tel contexte, à côté des approches scientifiques, socio-économiques, médicales et médico-sociales et des discours qu’elles produisent, les aînés ont-ils encore une approche spécifique de l’avancée en âge, des découvertes à faire, des savoirs à transmettre aux générations qui les suivent ? Et en admettant cette hypothèse, quelle démarche, quelles méthodes utiliser pour que leur expérience aboutisse à un savoir qui trouve sa place en gérontologie ? Telles sont les questions abordées dans cet article.

Spécificité de l’approche du vieillissement des aînés

Pour savoir si les sujets âgés ont une approche spécifique de l’avancée en âge, des savoirs à transmettre aux générations qui les suivent, nous avons rencontré en entretien une cinquantaine de personnes dont l’âge se situait entre 60 et 101 ans et nous leur avons demandé :

  • Que mettaient ces personnes sous le terme de vieillissement ?
  • Quelles situations, quels évènements les ont amenées à prendre conscience de la réalité du vieillissement ?
  • La manière dont elles les ont vécus
  • L’enseignement qu’elles en ont retiré
  • Ce que ces évènements ont changé dans leurs relations à autrui, leur représentation d’elles-mêmes, ont provoqué comme réflexion

Les concepts de sujet[2], de transition, de crise, ont été l’objet d’un travail d’enquête identique.

Résultats

Le sens attribué au concept de vieillissement

Le vieillissement[3]

Le terme de vieillissement a été initialement associé à des changements d’ordre physique, les premiers cheveux blancs, la peau ridée, une démarche moins assurée, la nécessité de s’asseoir après l’effort, une douleur, le besoin de consulter. Poursuivant leur réflexion les personnes interviewées l’ont présenté comme le résultat de la confrontation avec des évènements qui avaient marqués un tournant dans leur existence.

Le résultat de la confrontation du sujet avec les évènements majeurs du dernier tiers de l’existence

Selon le point de vue des personnes rencontrées, on vieillissait par à-coups, à la suite d’évènements qui, remettant en cause un équilibre de vie, demandaient de procéder à des ajustements matériels, sociaux et psychiques. Chaque évènement était une épreuve qui changeait la perception que la personne se faisait de l’existence et de ses relations aux autres. Ont été cités fréquemment, la cessation de l’activité professionnelle, le départ des enfants du domicile familial, la maladie ou l’accident de santé de leurs parents, du conjoint, d’un proche, ou la leur, les hospitalisations, le déménagement en institution…

La notion d’expérience

Se distinguant de la signification que lui donnent les scientifiques, l’expérience a été définie comme la capacité de l’individu de tirer un enseignement des changements et des transitions qu’il doit affronter. A noter la parenté de ce concept avec le verbe s’exprimer, (du latin exprimere, faire sortir en pressent, de ex et de premere, serrer, exercer une pression sur), faire connaître par le langage, (1580 Montaigne). La notion d’expérience renvoie au travail de la pensée confrontée au réel. Elle invite à porter attention à l’impact sur le sujet des évènements importants du dernier tiers du cycle de vie, à sa capacité et aux moyens dont il dispose pour en dégager un sens.

L’individu comme sujet

De même que le vieillissement est perçu comme un processus dynamique, le sujet a été  présenté comme capable de tirer un enseignement des changements et des épreuves qui se présentent à lui, d’inventer de nouvelles manières d’être. Les évènements du dernier tiers du cycle de vie sollicitent non seulement les capacités psychologiques et sociales de l’individu, mais aussi ses capacités à y faire face en tant que sujet, dans le sens philosophique qu’un auteur comme Maine de Biran donne à ce terme : « cet être singulier qui n’a sa véritable réalité qu’en contribuant à se faire lui-même, à partir sans doute d’une nature donnée et selon des exigences intimement subies, mais par un devenir volontaire et une conquête personnelle.»

Vieillir : le résultat de la confrontation du sujet avec les transitions et ruptures du dernier tiers de l’existence

Si chaque trajectoire de vie est particulière, elle comporte des évènements qui concernent la majorité des membres d’une société, sont à la fois des épreuves et des découvertes d’aspects de l’existence précédemment ignorés. Tout le monde ou presque doit un jour se retirer du monde du travail et se trouver de nouveaux engagements, accompagner ses parents âgés et assumer leur décès, faire face à la découverte d’une maladie grave, changer de mode de vie et parfois de lieu de résidence.  Ont été cités le plus souvent :

  • Le départ à la retraite et l’organisation de la vie ensuite
  • L’accompagnement de ses parents âgés
  • La  relation de couple face à la maladie de l’un d’entre eux
  • Les ruptures, les décès, la solitude
  • Le déménagement en institution

Analyse

Sur un plan évènementiel et subjectif, le dernier tiers du cycle de vie est très différent des phases précédentes[4]. Mettant les individus face à des situations auxquels ils ne sont pas préparés, ce temps de l’existence leur fait découvrir les trois dimensions : sociale, intergénérationnelle et personnelle, de la condition humaine. Le départ à la retraite met en évidence la partie de la construction de soi  initiée lors du choix d’un métier et de l’entrée dans le monde du travail. L’accompagnement de ses parents âgés rappelle à l’individu sa place dans la chaîne des générations. L’accompagnement de son conjoint dans les années ou mois précédant son décès, sa capacité à tenir ses engagements, à maintenir une relation et une présence jusqu’à son terme, à rester disponible à ce qui advient, à créer de nouveaux liens, à se construire une nouvelle existence.  Faisant intervenir la subjectivité du sujet, son histoire de vie, la culture et les valeurs de sa société d’appartenance, l’expérience du vieillissement des aînés se situe dans un autre registre que celui des disciplines scientifiques qui en font l’étude,  est différente de l’approche biologique, médicale, sociale, et psychologique du vieillissement.

Un dispositif pour faire face et tirer un enseignement des transitions et des ruptures de ce temps de vie[5]

Une fois mise en évidence la spécificité de leur expérience du vieillissement, demeure la question de la démarche à adopter pour en comprendre les différents aspects, pour qu’elle soit la source d’un savoir, accessible aux personnes concernées et à la société dans son ensemble.

Idée directrice

Pour aider les personnes à faire face et tirer un enseignement des évènements auxquels ils sont confrontés, le dispositif à imaginer devait leur laisser la maîtrise de leur réflexion, leur permettre de déployer leurs capacités d’introspection, d’écoute et d’analyse.

Attitude privilégiée

Trop souvent nous adoptons avec les aînés une attitude condescendante, compassionnelle, nous les enfermons, sans en avoir toujours conscience, dans nos propres représentations de la vieillesse et des vieux. Un tel choix n’est pas aidant. Pour faire face aux épreuves de ce temps de vie, les aînés doivent avoir une image positive d’eux-mêmes. La démarche  retenue mise sur les ressources de chaque individu et sur le groupe de pairs comme écoute et soutien. Elle n’élimine pas la nécessité d’une attention à l’expression, d’un accueil attentif à chacun, d’un encadrement bienveillant.

Nature de la participation proposée

Invitées à être les premiers bénéficiaires du dispositif, les personnes devaient tirer profit de leur participation pour changer leur regard sur le vieillissement, modifier leur manière de penser et de vivre leur avancée en âge, contribuer au renouvellement des représentations et des pratiques concernant le dernier tiers du cycle de vie.

Le choix du groupe

Le groupe favorise les remises en question et l’enrichissement des savoirs (Lewin 1943). C’est un lieu propice au déploiement des capacités créatives. Doté de règles précises, il permet la centration de ses membres sur ce qu’ils vivent et ressentent, en mettant à distance leurs engagements dans le quotidien La possibilité de réfléchir à des situations proches de celles qu’ont connus ou que vivent les autres participants, place les membres de ces groupes dans une attitude de disponibilité et d’intérêt pour la réflexion des autres, contribue à faire tomber les barrières, à renforcer les liens. Le groupe ainsi constitué fait institution[6].

Une élaboration encadrée

Le but du dispositif n’est pas d’explorer la singularité des trajectoires individuelles, la dimension biographique des histoires de vie, mais d’aider les personnes à mobiliser leurs capacités réflexives et créatives pour tirer un enseignement de ce qu’elles ont vécu ou vivent présentement. Alternant des séquences en groupe, et des temps de réflexion individuelle, le dispositif permet de tirer un enseignement de son expérience et d’apprendre de l’expérience des autres participants. Remettant en question des certitudes, ouvrant de nouvelles perspectives, se construit peu à peu une représentation de ce temps de vie, très différente de celle des médias et de la presse spécialisée.

Des règles d’écoute spécifiques

Pour aider les participants à réfléchir aux changements, transitions et ruptures auxquels ils doivent faire face, il est fait appel à des modalités d’écoute particulières. L’écoute privilégiée se distingue du sens habituel de ce terme, dérivé du bas latin ascultare altération du latin classique auscultare[7], comme de l’attitude empathique prônée par les psychologues de l’école rogérienne et de l’écoute psychanalytique telle que la définit un psychanalyste comme Jean David Nasio :

« Il faut que le praticien écoute son patient en ayant à l’esprit des hypothèses, des suppositions, des interrogations, bref, en ayant à l’esprit un ensemble de préconceptions utiles issues de sa formation et de sa pratique, des préconceptions que je qualifie de féconde… Toute la présence verbale, paraverbale et non verbale du patient passe à travers le filtre du savoir théorique et du savoir-faire du praticien, criblage nécessaire pour dégager les grandes lignes de la problématique clinique de celui ou celle qui consulte. » (Nasio 2012 p. 15, 16)

Dans un paragraphe intitulé «Découvrir sa propre richesse dans le regard de l’autre », évoquant le cas d’une vieille dame qui, se voyant physiquement diminuée, n’osait plus recevoir ses petits enfants et en était très attristée, Danielle Quinodoz écrit : « il a été très important pour elle que quelqu’un s’en aperçoive et que dans le regard de cette personne elle puisse voir sa propre richesse et non seulement ses déficiences… » (Quinodoz 2008  p.131 et 132)

Le recours à l’expression écrite

« La relecture de la vie n’est pas l’apanage de penseurs ou d’écrivains habitués à la réflexion et à l’exercice du style. » (Puijalon 1996 p.146).  Ecrire permet de comprendre le sens de ce qu’on a vécu ou vit présentement, les changements auxquels on doit faire face[8].  Ce choix épistémologique a comme référence, non pas Aristote, qui a pourtant écrit dans le Peri Hermeneias « dire quelque chose de quelque chose, c’est déjà dire autre chose, interpréter», mais Paul Ricœur « … tout, dans l’expérience, n’accède au sens que sous la condition d’être porté au langage. L’expression : « porter l’expérience au langage » invite à tenir l’homme parlant, sinon pour l’équivalent de l’homme tout court, du moins pour la condition première de l’être-homme. »   (Ricœur 1990, p.120).[9]

Progression, durée

Une réflexion sur les évènements majeurs de ce temps de l’existence et les questions qu’ils posent, ne peut être menée à bien en quelques heures, ni en un jour. Une durée de 6 jours répartis sur quatre mois, tout comme les temps entre les regroupements, permettent aux participants de préciser et de développer leur réflexion.

Le rôle attendu des animateurs

Les animateurs ne participent ni à la production des idées, ni à leur analyse. Les personnes qu’ils écoutent sont souvent en avance sur eux par rapport à ce temps de vie. Après l’énoncé des règles de confidentialité et de liberté d’expression, des thèmes sur lesquels les participants sont invités à réfléchir, ils veillent aux conditions favorables à la réflexion, à l’expression et à l’écoute réciproque. La formation qui leur est proposée comprend d’une part, un déconditionnement par rapport aux représentations sociales dominantes, et d’autre part une évaluation, et si nécessaire un réaménagement de leurs pratiques d’animation. Elle suppose un travail sur soi, la prise de conscience, par les animateurs de ces groupes, de leurs représentations de l’avancée en âge et de leur impact sur l’expression des membres des groupes, et par l’acquisition de nouvelles méthodes d’animation, ce qui implique souvent une phase de déconstruction des pratiques acquises précédemment.

Vieillir : la découverte d’aspects de l’existence précédemment ignorés

Le dernier tiers du cycle de vie confronte les individus aux trois dimensions de la condition humaine : sociale, intergénérationnelle, personnelle. En voici deux exemples : le départ à la retraite et l’accompagnement de son conjoint dans les dernières années et derniers mois de sa vie. Avant de décrire les implications du départ à la retraite rappelons les multiples fonctions attachées à l’exercice d’un métier. Outre qu’il permet de subvenir aux besoins fondamentaux de l’existence, selon des normes socialement admises, il procure un statut et un rôle, confère une identité à la personne qui l’exerce, demande la mise en œuvre de capacités physiques, mentales et relationnelles, la maîtrise d’un corpus de connaissances et de techniques plus ou moins conséquent. Le départ à la retraite met un terme à cet ensemble, place l’individu face aux choix suivants : Se satisfaire de sa nouvelle situation, en vivant une retraite retrait telle qu’elle a été décrite par Anne-Marie Guillemard (Guillemard A.M. 1972). Eviter un repli sur soi en remplaçant ce qu’il a perdu par l’engagement dans de nouvelles activités, l’exercice de nouvelles compétences, la recherche de nouveaux liens sociaux. Ou encore en tirer un enseignement, en prenant conscience du rôle de la société dans la construction de l’image de soi, de la manière dont il a accepté les contraintes qu’elle lui a imposée, les satisfactions qu’elle lui a apportée en échange. Et aussi la part d’engagement social dont il a besoin pour le maintien de son dynamisme personnel, les activités qu’il souhaite poursuivre ou initier, la remise en question de ses pratiques et de ses modes de penser, qu’il est prêt et qu’il désire assumer.

L’accompagnement de son conjoint dans les années et mois qui précèdent son décès renvoie l’individu à sa capacité de tenir ses engagements jusqu’à leur terme, lui fait découvrir et mettre en œuvre des attitudes et des comportements à l’égard d’autrui, jusque là rarement sollicités. La dégradation de l’état de santé du conjoint modifie l’équilibre affectif du couple, bouleverse l’organisation de leur vie commune. Celui qui est valide devient le garde malade de son compagnon ou de sa compagne, lui consacre l’essentiel de son temps.  A une époque qui met en avant l’individu et sa liberté, l’émoi des premières rencontres, mais où le nombre des séparations et des divorces est aussi important que celui des mariages, et qui voit les dernières années de vie sous une perspective particulièrement sombre, il convient de rappeler, et l’étude réalisée nous y autorise, qu’une relation n’est pas vouée à s’éteindre avec le temps, qu’un lien se construit dans la durée, et que les dernières années de la vie d’un couple, sont aussi importantes que les premières années de leur vie commune. La relation vécue au soir de la vie, l’engagement de l’un auprès de l’autre durant sa maladie et jusqu’à son décès, témoignent de la force de l’engagement et des liens qui peuvent unir deux êtres, de l’importance, pour l’un, comme pour l’autre, de faire l’expérience de cette relation au moment où la vie de l’un s’achève et celle de l’autre doit se poursuivre sans lui.

Les sessions Parcours de vie organisées par l’association La vie devant nous [10]

Les motifs à l’origine de leur création

Les transitions et les ruptures du dernier tiers de l’existence, sont des épreuves plus ou moins difficiles à vivre. Dans l’état actuel de notre société, les personnes se retrouvent souvent seules face aux questions qu’elles se posent, les obstacles qu’elles rencontrent, les choix qu’elles doivent faire. Il existe peu de supports pour les aider à garder l’initiative, à réussir les adaptations requises, à se donner une nouvelle organisation de vie. La solitude peut être la conséquence du célibat, de la séparation ou du veuvage. Mais tout en étant entourés, les individus ne disposent pas toujours de l’écoute nécessaire pour pouvoir réfléchir à leur situation et aux problèmes qu’elle leur pose. Or nous savons que les accidents de parcours, les situations gérées en urgence, l’accompagnement d’un proche souffrant d’une pathologie chronique,  ont un impact sur la pulsion de vie, sont une source de fragilisation psychique, de tendance à réagir aux évènements douloureux par des désinvestissements successifs. Même dans le cas où la personne semble avoir surmonté l’épreuve, elle en garde des séquelles[11]. L’être humain ne dispose pas de ressources infinies pour réagir aux évènements auxquels il doit faire face[12]. C’est souvent quelques mois, voire un an ou deux ans après, que l’on voit apparaître une lassitude, un repli, un retrait du désir, de la capacité de se réinvestir, une régression pouvant conduire de la tristesse à la culpabilité vers la dépression. [13]

Objectifs

Faisant appel au dispositif décrit ci-dessus, l’objectif des sessions est d’aider les participants à réfléchir et à tirer un enseignement des transitions et des crises auxquelles ils doivent faire face. S’ils peuvent avoir des réticences à aborder devant les autres, les bouleversements provoqués par les accidents de santé, les changements de résidence, les pertes qu’ils doivent affronter, lorsqu’ils réussissent à vaincre leurs réticences ils sont satisfaits. « S’inscrire à des sessions qui demandent de parler de soi devant les autres n’est pas des plus facile. Faire un point sur sa vie, prendre un temps pour s’interroger, dans la vie ordinaire on ne le fait pas.»[14] La démarche proposée permet de réfléchir aux évènements de ce temps de l’existence,  avec des personnes confrontées à des situations semblables, avec le sentiment que son expérience personnelle peut être utile aux autres et qu’on peut tirer profit de leur écoute et de leur réflexion.

Conclusion

Quels que soient les progrès des sciences dans la compréhension des phénomènes du vieillissement, des aspects essentiels de celui-ci sont hors de leur portée.[15] L’expérience qu’ont les aînés de leur avancée en âge, la leçon qu’ils en retirent, se situent hors du domaine des sciences, tout en ayant des relations avec elles. Par rapport à des questions telles que la manière de conduire sa vie, le sens de l’existence, le face à face avec la finitude, les liens à maintenir entre les générations, seuls les individus, membres d’une société, sont à même de trouver les réponses qui peuvent les satisfaire[16]. Le projet de recherche et de formation mis en œuvre a pris acte de cette situation.

Nous devons mieux connaître l’expérience du vieillissement des aînés. Mais cette expérience n’est pas une donnée immédiate de la conscience, une modalité de l’être qui s’impose très tôt à la pensée. Longtemps occultée, elle se manifeste tardivement, mobilise des défenses, et sa représentation évolue au fur et à mesure que l’on avance en âge, des changements et des épreuves auxquels les sujets doivent faire face. Pour ces raisons, des précautions s’imposent dans l’écoute et le recueil des témoignages des personnes engagées dans cette tranche de vie, et le recours à un dispositif spécifique est utile. Les ressources pédagogiques du groupe, l’implication des participants dans l’étude de thèmes fédérateurs, la mise à l’écart des phénomènes d’opposition et de rivalité, la qualité de l’écoute instaurée, avec un animateur/chercheur qui en est le garant, tous ces éléments font du cadre de travail mis sur pied, un lieu de réflexion, d’apprentissage et de découverte, favorable à la remise en question des savoirs, à une nouvelle compréhension de ce temps de vie et à la découverte d’aspects de la condition humaine largement ignorés par la société contemporaine.

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Ricoeur P. 1990, – « Approche de la personne » Revue Esprit, mars avril, p.115-130

Thomas L.V. 1978, –  Mort et pouvoir, Payot Paris

 

[1] Les notes entre parenthèses sont regroupées à la fin du texte

[2] Le sujet, défini comme un être en devenir, capable de tirer parti des changements et des épreuves qui se présentent à lui, pour en tirer un enseignement, inventer de nouvelles manières d’être

[3] Concept préféré à celui de vieillesse utilisé en sociologie, « La vieillesse constitue la dernière grande étape du cycle de vie »  A. M. Guillemard, Dictionnaire de sociologie, le Robert Seul, 1999

[4] Cette perception du vieillissement est récurrente dans les discours des personnes interviewées comme l’illustre ce constat de Madame F. 84 ans, ancienne enseignante, veuve depuis 10 ans :

« Il faut prendre la mesure de la complexité de notre situation : Arriver à se construire une nouvelle existence en renonçant à reproduire à l’identique ce qu’on a connu auparavant, accepter de se remettre en question, réaliser des projets longtemps mis en suspens, trouver un équilibre entre la part de son temps consacrée aux autres et celle réservée pour soi. Etre plus disponible pour ses proches, notamment en cas d’accident, de maladie, assumer les décès de personnes aimées et se retrouver ensuite avec ses souvenirs, des pensées qui n’ont pas pu être partagées et sans transition être sollicité pour résoudre des problèmes de succession. – Chaque année il y a de l’ordre à faire chez soi et dans sa vie. Trier, donner, jeter, prioriser, se recentrer. Tout ceci n’est pas facile, ne laisse pas indifférent. Il faut savoir trouver des moments pour y réfléchir, revoir ses projets immédiats et ceux à plus long terme. »

« Ce qui est difficile à nos âges, – ajoutera une autre participante à l’entretien – c’est d’être dans l’obligation de s’adapter à un monde intérieur et extérieur en constant changement. »

[5] Cf. les sessions Parcours de vie organisées par l’association La vie devant nous

[6] Pour les autres significations de ce concept auxquelles il a été fait appel, Ricœur P. 1990 « Approches de la personne », revue Esprit, mars-avril 1990, p. 115-130

[7] Au début de l’année 1818, le docteur René Théophile Laennec invente un nouveau moyen d’écouter le cœur et nomme son instrument stéthoscope (du grec stêthos, poitrine, et de scope du grec skopos,de skokein, examiner, observer). Le 15 août 1819, il publie son livre  De  l’auscultation médiate, ou Traité des diagnostics des maladies des poumons et du cœur  fondé principalement sur ce nouveau moyen d’exploration.

[8] Hannah Arendt : « La principale caractéristique de cette vie spécifiquement humaine, dont l’apparition et la disparition constituent des évènements de-ce-monde, c’est d’être elle-même toujours emplie d’événements qui à la fin peuvent être racontés, peuvent fonder une biographie.» (Arendt 1961, p. 143),  Michel Serres : « Vous le savez : n’existe que ce qu’on dit. Ni vous ni moi ni personne n’existons sans réciter notre existence, même au quotidien ; il faut se raconter pour naître ; même une chose, il faut la relater pour qu’elle ait lieu. » (Serres 2006 p. 17)

[9] Pour illustrer le rôle de l’expression orale et écrite comme catalyseurs de la pensée, on peut se référer à l’utilisation qui en est faite en Thérapie Cognitive Analytique. Cf. Anthony Ryle et Ian Kerr dans leur ouvrage, Introducing cognitive analytic therapy (Ryle A., Kerr I. 2002 p. 80 à 99).

[10] « La vie devant nous » tel : 01 42 28 35 63, info@laviedevantnous.comwww.laviedevantnous.com

[11] On pense ici à la réflexion de Michel Hanus à propos de la résilience : « même si l’on sort victorieux de l’épreuve, on n’en sort pas indemne ; on en sort grandi, fortifié certes, mais avec une blessure morale secrète qui est loin d’être nécessairement cicatrisée » M. Hanus «  La résilience : à quel prix ? » Maloine, Paris 2002 p. 167

[12] S. Ferenczi « La commotion psychique survient toujours sans préparation. Un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique… La conséquence est que la personnalité reste sans protection. Le choc est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le Soi propre. (Le mot Erschütterung » – commotion psychique – vient de « Schutt » = débris ; il englobe l’écroulement, la perte de sa forme propre et l’acceptation facile et sans résistance d’une forme octroyée, « à la manière d’un sac de farine »). « De la psychologie de la commotion psychique dans 

Réflexions sur le traumatisme » Psychanalyse IV, Oeuvres complètes 1927 -1933 Edit. Payot 1982, p. 139 et 143

[13] Thomas P., Hazif-thomas C. « Démotivation et troubles de la conation », dans J-M Léger « Psychiatrie du sujet âgé » Flammarion médecine-sciences 1999 p. 316-338

[14] Parole d’un stagiaire du premier groupe mis en place en 2006

[15] En 1981 Michel Philibert recommandait d’exporter le vieillissement « hors de sa région (biologique) d’origine scientifique, et (de) lui chercher ailleurs un autre modèle…, de prendre en compte ces changements que le biologiste écarte de sa notion comme non liés à l’âge, parce qu’ils ne s’imposent pas à tous les membres de notre espèce selon un ordre nécessaire et irréversible mais résultent de décisions personnelles, de particularismes sociaux, des accidents de l’histoire. » (Philibert 1981)

[16] Lepresle E. « La finalité de la vie n’est pas un concept scientifique. » Thèse de doctorat de philosophie, La fabrique du mourant, sous la direction d’Eric Fiat, Université de Marne la Vallée.

[i] Données démographiques

L’augmentation du nombre et de la proportion des aînés par rapport à la population totale

En 2060, 23,6 millions d’individus auront dépassé 60 ans en France, soit une hausse de 80 % par rapport au dernier recensement national de 2007. De 20,6 % en 2000, ils vont représenter entre 33,7 et 36, 5% de la population, (Blanpain 2010 – Blanpain, Chardon 2010).  Le nombre de personnes de 75 ans, de 5,2 millions en 2007 s’élèvera à 11,9 millions en 2060, celui des plus de 85 ans augmentera de 1,3 à 5,4 millions. Les centenaires  étaient 6953 en l’an 2000. Ils seront entre 120 000 et 300 000 à l’horizon 2060.

L’accroissement de l’espérance de vie après soixante ans

Le phénomène d’abord mis en évidence dans le cercle restreint des familles aisées[i], est amplifié par la diffusion des mesures d’hygiène et d’asepsie, la généralisation de la Sécurité Sociale après 1945, l’amélioration des conditions de vie et de travail, les progrès de la médecine, notamment de celle des urgences. A partir des années 1960, une large fraction de la population peut dorénavant espérer parcourir une tranche de vie de quelque 20 à 30 ans après l’âge officiel du départ à la retraite[i], et plus si l’on tient compte de l’âge moyen de cessation d’activité professionnelle[i].

Le recul de la mort aux âges extrêmes de la vie

Alors qu’antérieurement la mort frappait à tout âge, elle est devenue le destin presque exclusif du groupe le plus âgé de la population. « Les mourants sont aujourd’hui, pour la plupart, des personnes âgées… dans l’histoire de l’humanité c’est un phénomène récent ((Monnier A. et Pennec S.  p. 285). Les membres des générations nées après 1920-1930, toujours en vie, sont les premiers à parcourir un nombre d’années se rapprochant des limites de la longévité humaine, avec une proportion plus importante de femmes que d’hommes, parmi les mourants très âgés.

L’amélioration du profil et des capacités des générations nées après 1930

L’analyse des statistiques médicales, des résultats scolaires, des métiers exercés, met en évidence une évolution continue et positive de l’état de santé, du profil et des capacités des aînés. Les individus nés à partir des années 1930, après avoir évité nombre de maladies infantiles, ont atteint une taille, à âge équivalent, plus élevée que leurs parents, sont en meilleure santé, ont un dynamisme, un appétit de vivre très différents de ceux de leurs ascendants au même âge.  Une scolarité plus longue, une conjoncture économique favorable,  leur ont permis d’acquérir de nouveaux savoirs, d’exercer de nouveaux métiers.  Leur discours n’est plus celui de personnes qui n’ont plus que quelques années à vivre, mais celui d’individus qui ont quelque vingt à trente ans devant eux. Ayant encore en mémoire le cadre familial de leurs années d’enfance, ils ont été les témoins de l’avènement d’une nouvelle culture, les parents de nouvelles générations aux comportements et aux valeurs très différents de ceux qui leur ont été inculqués. Engagés dans la dernière phase de leur existence, ils découvrent de nouvelles manières de parcourir cette tranche de vie.

[ii] Les avancées sociales et médicales du dernier demi siècle

S’ajoutant aux découvertes scientifiques, à l’amélioration des conditions de vie et de travail, les dispositions prises sur le plan social et médical par l’Etat, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ont transformé la situation de la partie âgée de la population. Auparavant la vieillesse était vécue dans la sphère privée, familiale. La charité publique et privée, l’hospice, étaient les seuls recours accessibles aux plus pauvres. Les retraités ont en France aujourd’hui, un niveau de vie équivalent à celui de l’ensemble de la population et ont accès, au même titre que les autres membres de la société, aux traitements médicaux modernes. Les trois images qui ont alimenté l’imaginaire social jusque la première partie du XXe siècle : celles du vieillard indigent, du vieillard sans domicile que la collectivité devait héberger, du vieillard déclaré incurable, ne sont plus d’actualité. Alors qu’antérieurement les individus ne disposaient que de leurs propres ressources et celles de leur entourage, pour subvenir à leurs besoins matériels, et d’une médecine de proximité pour faire face à la maladie, à la souffrance et à la mort, le fait fondamental à noter est qu’ils bénéficient désormais de l’assistance de l’Etat.

[iii] Le changement du regard porté sur le vieillissement à la suite des avancées scientifiques. On ne peut, dans le cadre de ce texte, qu’en donner un aperçu. Vient en premier le passage de la représentation de la vieillesse comme stade ultime de la vie, à une représentation du vieillissement défini comme un processus dynamique, un phénomène génétiquement déterminé, mais modulé par les interactions de l’homme avec son environnement, social, culturel, familial…(Legrand, Tréton 2001 p. 8).  Le Vieillissement est perçu de nos jours « non comme un simple déclin, mais comme une évolution adaptative résultant de l’interaction entre le sujet et l’environnement tout au long de sa vie : c’est le modèle biopsychosocial. » (Lemaire, Bherer 2005 p.229).  Concernant le destin des aptitudes intellectuelles dans les âges avancés, les études montrent qu’elles restaient fonctionnelles, en l’absence de pathologies dégénératives, comme l’écrit Paul Baltes : « Une conviction fondamentale qui ressort de nos études est que les processus de développement, d’acquisition, de réajustement et de transformation, ne s’arrêtent pas à l’âge adulte mais couvrent toute l’amplitude de la vie. » (Baltes 1999, pp. 471-507 – Aleman. 2014). L’idée  qu’à partir d’un certain âge, les personnes rentrent dans une catégorie spécifique, celle des vieux, des personnes âgées ou des seniors est devenue obsolète. Les aînés sont des individus qui en l’absence de pathologies invalidantes, continuent à mener une vie autonome, à utiliser et développer les connaissances acquises durant leur vie, ont les mêmes besoins affectifs et sociaux que le reste de la population.  Ils ne sont pas différents, mais en avance sur les autres sur le chemin de la vie. Méritent en revanche de retenir l’attention, les particularités du chemin qu’ils ont à parcourir.

Les points communs et les spécificités de cette tranche de vie par rapport à celles qui la précèdent.

Par bien des aspects, la situation des aînés est comparable à celle rencontrée à d’autres âges de la vie. Tout individu depuis son plus jeune âge doit faire face à des changements et des ruptures plus ou moins difficiles à vivre. Mais dans leur cas les mots de changement, de rupture, d’épreuves, n’ont plus le même sens que durant les périodes antérieures. C’est qu’à l’arrière plan de ces derniers se profile un aspect de la condition humaine que le sujet ne peut plus ignorer. L’idée de la mort marque de son empreinte la pensée et les comportements des individus, donne une tonalité particulière aux évènements de cette phase de l’existence, modifie l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et du monde, et de leurs relations avec leurs proches.  « Vieillir change le rapport à la mort et au deuil.  Le grand âge vit dans la proximité de l’une comme de l’autre. Présence essentielle, consubstantielle de la mort dans la vie…  Ce sont les personnes de la même tranche d’âge qui commencent à mourir, des parents, des amis et surtout le conjoint. » (Hanus M. 1997).

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