Le nouvel ouvrage, L’avancée en âge au XXIe siècle, approche anthropologique, vient d’être publié et peut être commandé en librairie ou en ligne.
En voici la couverture et la dernière page.
La préface de Daniel Reguer :
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A travers ce nouvel ouvrage L’avancée en âge au XXIème siècle. Approche anthropologique, Georges Arbuz nous livre le résultat d’un important travail de terrain fait d’enquêtes nombreuses alimentées par des entretiens individuels ou à l’occasion d’animations de groupes de réflexion au sein de lieux institutionnels diversifiés, hospitaliers et associatifs et dans différentes régions de France. Il mène ce travail de collecte de la parole depuis de très nombreuses années auprès de plusieurs centaines de participants, appartenant pour l’essentiel aux générations nées entre 1930 et 1950. Le lecteur y puisera déjà, avec le plaisir d’une écriture fluide, une source de témoignages sur les différentes périodes traversées par cette génération. Pourtant, en acteur distancié mais immergé dans son objet d’étude, Georges Arbuz porte un regard spécifique et réflexif sur cette génération à laquelle il appartient. Cette position spécifique par rapport à l’objet d’étude implique également une transformation progressive du regard du chercheur lui-même sur son environnement.
Le travail engagé par Georges Arbuz se situe dans un prolongement d’un parcours intellectuel au carrefour de plusieurs disciplines, à la fois cohérent et peu commun. Comme il l’indique dans un précédent ouvrage, il manifeste très tôt un intérêt pour l’ethnographie en suivant les séminaires de cette discipline au Musée de l’Homme, ce qui lui permet de rencontrer Roger Bastide, ainsi que des membres de l’équipe Calame Griaule (spécialistes des Dogons de la falaise de Bandiagara au Mali). Son intérêt s’est porté dès cette époque sur le début et la fin de la vie, les rituels et les croyances qui accompagnent la naissance et la mort. L’enfant juif né en Pologne reste vivant dans l’aventure intellectuelle et humaine : grandir, devenir adulte et vieillir sont des chances, un rêve, que seule une minorité de ses ascendants ont eu la chance de réaliser.
Les premiers travaux de Georges Arbuz en anthropologie sociale datent de 1963. Ils portent sur la fabrication et l’utilisation des instruments à cordes d’origine espagnole (harpes et guitares) par la population Chamula au Chiapas (Mexique). L’ethnographie était déjà présente, autant que lors de l’étude des modes de subsistance des populations de la région de Djanet à l’extrême Sud-Est algérien, dans le cadre de l’Institut de Recherches Sahariennes. Georges Arbuz obtient ainsi, en 1967, une Maîtrise à l’Université de Chicago.
Titulaire du Diplôme de l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC) à Paris, son implication dans un centre de formation professionnel pour adultes, ne constitue pas seulement un hasard, puisque ce sont aussi des groupes de réflexion d’adultes, qui lui fourniront ultérieurement le corpus nécessaire aux travaux qu’il nous livre dans cet ouvrage. Il s’intéresse alors à la philosophie et obtient une Licence à l’université de Paris Sorbonne, ce qui lui permet de diversifier ses disciplines d’enseignement au lycée de Fourmies (Nord). Là encore, l’expérience est utilisée au service d’un cheminement intellectuel et de la collecte de matériaux, sur lesquels il appuie de nouvelles recherches. L’héritage de cette période se retrouve dans le présent ouvrage puisqu’une partie des entretiens est réalisée auprès de mineurs. George Arbuz complète aussi son approche de base en anthropologie sociale des apports de la philosophie.
Cette trajectoire professionnelle est en outre influencée par une appropriation de la théorie psychanalytique, qui procure une capacité d’écoute et une empathie. Ce sont des qualités nécessaires à la posture épistémologique adoptée qui, non seulement attache de l’importance à la parole de l’acteur, mais de surcroit le place dans une position d’interprète de cette parole. Georges Arbuz enrichit sa réflexion d’un nouvel ensemble méthodologique que procurent les méthodes de l’intervention sociologique développées par Alain Touraine. A ce titre, il inscrit son travail dans une sociologie du vieillissement mais aussi dans une sociologie de l’action, dans le sens où, à plusieurs reprises, il questionne le changement à l’œuvre et ses fondements.
Ainsi le travail qu’offre Georges Arbuz à notre lecture est au croisement d’une diversité d’apports, de l’anthropologie, de la psychanalyse, de la sociologie, de l’histoire contemporaine qui attache de l’importance à l’oralité et à la mémoire. Surtout, il est le résultat d’une connaissance intime de l’époque qu’il décrit et des gens qui la décrivent auprès desquels il s’est immergé longuement durant de nombreuses années. Georges Arbuz observe ce qui s’offre au regard de chacun, mais médite et fait méditer sur son objet, comme personne n’a encore médité.
La richesse d’un matériau cumulé à un ensemble de confrontations théoriques aboutissent en toute logique à la rédaction d’une thèse de sociologie, la première soutenue à l’université du Havre. C’est de cette thèse de 295 pages intitulée : Accompagner les expériences du vieillissement, quel dispositif, quelles démarches privilégier ?, qu’est extrait l’ouvrage, revu, réécrit en partie, qui est offert à notre lecture.
Mobilisant la définition de la vieillesse comme la « dernière grande étape du cycle de vie », il considère le vieillissement comme un processus dynamique, non fini et pluriel. Il échappe ainsi à la tentation d’un déterminisme démographique, qui ne peut expliquer les transformations des dernières décennies par le seul constat de l’élévation majeure de l’espérance de vie. Surtout, l’âge ne saurait définir la vieillesse scientifiquement, surtout dans une période qui a été témoin d’un processus de déstandardisation du cycle de vie, de changements institutionnels qui reculent l’âge de liquidation de la retraite (61,3 ans dans le secteur privé), tout en continuant d’imposer précocement l’âge effectif de cessation définitive des activités professionnelles (58,8 ans dans le secteur privé). Aussi, désormais, au moment où un salarié cesse définitivement son activité professionnelle, il dispose d’une espérance de vie de ¼ de siècle. (23,34 et 28,11 respectivement pour les hommes et pour les femmes de 58 ans en 2012). D’autres indicateurs, souvent biologiques telle la santé, ne sauraient définir la vieillesse.
Georges Arbuz dépasse ces définitions et données factuelles pour s’intéresser à la vieillesse vécue, et plus généralement aux évènements vécus dans leur subjectivité. La formation anthropologique est à la base de la posture scientifique de Georges Arbuz. Il restitue les témoignages avec minutie, mais l’observation des phénomènes sociaux ne se contente pas de décrire des faits, elle les circonscrit. Il délimite quatre évènements majeurs qui représentent autant d’épreuves auxquelles toutes personnes avançant en âge ont à faire face : la cessation d’activité professionnelle et le départ à la retraite ; l’expérience du vieillissement dans la relation aux parents âgés ; le vieillissement en couple et la confrontation avec la maladie ; l’expérience de la solitude et le face à face avec son propre vieillissement et la finitude de l’existence.
Le présent ouvrage constitue le résultat d’un long cheminement au cours duquel Georges Arbuz collecte un matériau d’une ampleur exceptionnelle durant de nombreuses années. Il recueille des témoignages, des histoires de vie, pour construire un corpus qui met en évidence les décalages entre les différentes représentations sociales concernant le vieillissement. Il recourt à la mémoire, toujours plus ou moins sélective, sur ce vécu, voire sur les faits. Mais les écrits ne sont-ils pas tout autant sélectifs dès leur production, y compris sur les faits auxquels on portera intérêt ou non suivant les périodes, suivant ceux qui les produisent, suivants les fonctions professionnelles ou les types de fréquentations et d’engagements sociaux ? Les écrits sont aussi les productions de ceux qui sont en capacité de les produire et ne sont pas moins que la mémoire en mesure de porter des vécus, des sensibilités des représentations sur le monde. A l’intérieur même d’un groupe social, voire d’un corps professionnel, l’écrit et la mémoire restituent des domaines d’information, des types d’intérêts différents. Pour ne prendre que l’exemple du corps médical fortement présent dans le monde gérontologique, l’écrit médical ne restitue que rarement les conditions de vie du patient, dont le médecin est non seulement témoin, mais qui intervient dans son intervention, sa prescription. Bref, les écrits sont ceux qui ont une légitimité au moment de leur production suivant les groupes sociaux, leurs ressources sociales, financières et culturelles. La mémoire est sélective, mais elle présente l’intérêt de recueillir des paroles occultées par l’écrit. Les nombreux témoignages restitués dans l’ouvrage montrent en outre les décalages entre, d’une part les normes et modèles sociaux que les acteurs ont vécu, qui ont façonné leurs visions du monde, les ont produit ou reproduit, aux différentes étapes de leur parcours de vie, notamment dans leur enfance, et d’autre part les normes et modèles sociaux qui semblent prédominer aujourd’hui, toujours provisoirement.
Certes, la parole recueillie est celle de catégories sociales fréquentant des groupes de réflexion sur la base du volontariat. Par la définition même de ce lieu institutionnel, les catégories cultivées y sont souvent plus représentées parce que légitimées, catégories plus souvent porteuses de changement social, de comportements de revendication, d’imagination de nouveaux modes de vie. Ainsi, une représentation plus forte des catégories moyennes cultivées constitue une focale grossissante du changement à l’œuvre et des représentations que les acteurs peuvent en avoir. Cependant, l’auteur reste attentif à l’ensemble des groupes sociaux, comme il le fut en 1958, à l’occasion de ses premiers contacts professionnels aux usines Renault de l’île Seguin. Il y délaisse en effet un stage au département exportation dans le cadre de sa formation à l’Ecole des Hautes Commerciales, pour préférer le statut d’apprenti.
A travers sa pratique professionnelle auprès de groupes de retraités, Georges Arbuz suscite la réflexion des participants aux différentes sessions où il intervient, sur leur expérience du vieillissement. Il accompagne cette réflexion par l’apport d’outils méthodologiques et de perspectives plus générales sur le changement social et culturel à l’œuvre dans nos sociétés post industrielles. Il questionne, il constitue les phénomènes sociaux : « pas plus en sociologie qu’en aucune autre science, il n’existe de faits bruts que l’on pourrait, pour ainsi dire, photographier. Toute observation scientifique porte sur des phénomènes méthodiquement choisis et isolés des autres, c’est-à-dire abstraits ». (MAUSS, 1971, p. 32)
L’ouvrage est en fin de compte une contribution forte à l’étude des différentes manières dont les personnes dans le monde de l’après travail se représentent et vivent leur avancée en âge dans la deuxième moitié du XXème siècle et au début du XXIème.
Ainsi, l’ouvrage de Georges Arbuz apporte un éclairage fort sur les représentations du vieillissement, en même temps qu’il rend une part de la sociologie accessible, tout en constituant une référence pour l’historien qui s’intéresse à la période des années qui entourent la Deuxième Guerre mondiale.
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ainsi que la postface d’Anne-Marie Guillemard :
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Le livre de Georges Arbuz est précieux en ce qu’il nous introduit à ce qu’est aujourd’hui l’expérience du vieillir pour les plus de soixante ans. Bien peu de travaux de recherche ont cherché à analyser, à travers un dispositif d’écoute approprié, comment les personnes âgées donnaient sens à leur vie et surmontaient les épreuves de l’avance en âge. En donnant la parole aux aînés, l’auteur inverse la posture d’extériorité généralement adoptée par les chercheurs, les professionnels et les décideurs pour traiter de la vieillesse et du vieillissement. Il lui substitue une approche par l’intériorité. Le projet est de nous permettre d’accéder à l’expérience intime du vieillir. Il vise à comprendre la subjectivité des sujets à travers la manière dont ils font face aux événements biographiques qui ponctuent leur processus de vieillissement et les conduisent inlassablement à reconstruire leur identité, leur image de soi, leurs liens sociaux…
Cette approche de la réalité de la vieillesse est novatrice. Elle permet une avancée indéniable des connaissances sur le sujet du vécu du vieillissement et de la retraite. Elle devrait aussi contribuer à changer le regard que notre société porte sur la vieillesse. Le vieillissement de la population est, tout particulièrement en France, appréhendé comme un problème. En raison de la naturalisation de l’âge qui prévaut, les personnes âgées sont considérées principalement comme des objets de prises en charge lesquelles viseraient à compenser leurs déficits et leur perte d’autonomie.
La dernière loi, en cours de discussion, sur l’adaptation de la société française au vieillissement ne fait pas exception à cette règle. Elle est dominée par cette vision déficitaire de le vieillesse, selon laquelle l’augmentation du poids relatif des plus de 60 ans dans la société fait craindre une augmentation considérable du nombre des personnes âgées souffrant d’incapacités et ayant besoin d’aide. Dès lors, les réponses politiques ne font qu’amplifier cette construction de la vieillesse comme temps de la dépendance et objet passif de prise en charge. Le vieillissement des populations est donc perçu dans sa dimension la plus négative comme un coût et une charge, bientôt insoutenable pour le pays.
Ce que Georges Arbuz met en lumière dans son travail est une toute autre représentation de la vieillesse. Il montre que les plus de 60 ans sont des acteurs de leur propre vie, capables de mobiliser leurs ressources et leurs capacités d’analyse pour donner sens aux ruptures et transitions qui émaillent les dernières étapes de leur parcours de vie. Sa démonstration va même plus loin, car ce qu’il nous restitue de la parole des personnes âgées n’est pas seulement une expérience personnelle singulière, témoignant des ressources que certains peuvent mobiliser. Il lui prête une dimension collective, celle d’une génération particulière née entre 1930 et 1950, qui est la première à bénéficier des progrès rapide de l’espérance de vie en santé et de leurs corollaires. Parmi ces derniers, citons la coexistence de quatre générations dont deux de retraités, et le fait que parmi les jeunes retraités, nombreux sont ceux qui ont à accompagner leurs parents âgés et vivre leur décès.
Ainsi, cette génération est particulièrement intéressante à étudier, car elle se trouve placée dans une situation inédite. Elle dispose de ressources nombreuses, en raison de son niveau plus élevé d’éducation et sa meilleure santé par rapport à ses aînés. Elle doit les mobiliser afin d’inventer de nouveaux comportements d’ajustement pour faire face aux multiples ruptures qu’elle doit affronter avec l’avance en âge. Son expérience du vieillir est donc spécifique. Toutefois, elle est porteuse d’enseignements importants pour la génération des baby-boomers qui lui succède. En effet, cette dernière est confrontée encore plus que la précédente au report aux âges élevés de la mortalité et de la morbidité.
Prendre en compte l’emboîtement spécifique des générations dans lequel s’inscrit la cohorte étudiée est une hypothèse forte et particulièrement éclairante. En effet, elle permet de passer de témoignages individuels à l’analyse de réalités collectives. De plus, une telle hypothèse autorise la cumul des résultats avec ceux issus de travaux antérieurs portant sur des cohortes de retraités plus anciennes. En conséquence, il est possible de suivre, sur un temps long, les évolutions dans le vécu de l’avancée en âge en comparant les différentes cohortes.
Les travaux de Françoise Cribier et son équipe, portant sur deux cohortes (la première retraitée en 1972 et née entre 1904 et 1912 et la seconde, retraitée en 1984 et née entre 1918 et 1924) montraient la diffusion de l’expérience de la retraite à toute une génération (la seconde) avec les conséquences que cette réalité nouvelle entrainait sur les rapports au temps, à l’avenir et aux loisirs de cette génération. En revanche, il était rare pour ces générations que soit évoquée la présence durable d’un parent âgé.
Par comparaison, avec cet ouvrage, nous découvrons une génération pionnière dans un autre domaine, celle de l’inscription dans une longue chaîne intergénérationnelle. Au seuil de la vieillesse, celle-ci est confrontée à l’accompagnement dans le grand âge de ses parents et à leur fin de vie. Autant d’événements qui provoquent une réflexivité sur l’avancée en âge et la fin de vie et invitent à réviser ses propres perceptions et comportements à cet égard. Ainsi, cette génération née entre 1930 et 1950 est sommée, par sa situation nouvelle dans un contexte de vie longue et de temps de retraite dilaté, de se démarquer des modèles anciens du vieillir et d’en inventer d’autres. C’est en cela que se justifie le titre de l’ouvrage : « L’avancée en âge au 21ème siècle », car ce livre nous introduit à l’expérience subjective qu’a cette génération pionnière du temps, de la maladie, de la mort.
La pertinence du dispositif original d’observation et d’analyse original mis en place par l’auteur doit être souligné. Il est particulièrement approprié à son hypothèse générationnelle et à sa volonté d’approcher de l’intérieur, par le discours des intéressés, l’expérience intime du vieillissement. Selon une démarche classique de la sociologie du cours de vie, G. Arbuz a retenu des événements marquants du parcours biographique de l’avancée en âge. Le départ à la retraite, l’expérience du vieillissement à travers celui des parents âgés, la confrontation avec la maladie ou celle de son conjoint et le face à face avec les manifestations de son propre vieillissement vont constituer pour le chercheur autant d’épreuves autour desquelles stimuler l’autoréflexivité des retraités soit en entretien individuel soit dans une dynamique de petit groupe destinée à favoriser l’élaboration. Dans tous les cas, l’initiative et la maîtrise de leur réflexion est laissée aux sujets, toujours traités en tant qu’acteurs de leur propre vie et de leur devenir.
La richesse des analyses qui nous sont fournies, notamment les très belles pages sur le temps, n’auraient pu être livrées avec un regard en extériorité et sans l’écoute et les stimulations qui ont accompagné ce dispositif d’observation. Une fois refermé ce livre que reste-il ? Il me semble qu’au fil de la lecture s’est construite une autre représentation de la vieillesse. Loin d’être objet de prise en charge, les plus de 60 ans se prennent en main. Avancer en âge implique une dynamique perpétuelle de changements, d’adaptations, de remises en cause de soi, de ses relations avec ses proches et avec le monde en faisant appel à ses ressources propres. Ces changements constants sont d’autant plus des épreuves pour les individus qui les affrontent, qu’ils ne sont pour la plupart ni voulus, ni anticipables, à la différence des étapes antérieures de la vie. Le grand mérite de ce livre n’est-il pas de nous introduire, finalement, à la réalité de la condition humaine dans une société de vie longue ? En cela, il est porteur d’enseignements pour toutes les générations.
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