Révolution de l’âge et nouvelles réponses aux attentes des aînés : mieux les écouter pour mieux les accompagner

Voici les notes d’une intervention que j’ai donnée au Club Autonomie & Dépendance, bien vieillir ensemble le mercredi 28 septembre 2016.

 

Introduction

Avant de présenter les bénéfices à attendre d’une meilleure écoute des personnes âgées, quelques mots sur la place de ce projet dans l’ensemble des actions menées au profit des aînés depuis un demi siècle. Les dispositions prises sur le plan social et médical par l’Etat depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ont transformé la situation de la partie âgée de la population. Auparavant la vieillesse était vécue dans la sphère privée, familiale. La charité[2], publique et privée, l’hospice, étaient les seuls recours accessibles aux plus pauvres[3]. Les retraités ont en France aujourd’hui, un niveau de vie équivalent à celui de l’ensemble de la population [4] et ont accès, au même titre que les autres membres de la société, aux traitements médicaux modernes. Plus récemment, la gériatrie a été promue au rang de spécialité médicale en 2004, après la promotion du bien vieillir (healthy ageing) en 2007 a succédé le projet des villes amies des aînés (age friendly), la loi de décembre 2015, d’adaptation de la société au vieillissement. On se préoccupe aujourd’hui d’adapter la cité à tous les âges, de favoriser l’autonomie, les relations de proximité, la mobilité, d’encourager l’engagement dans des activités sociales et solidaires. Chacune de ces initiatives est un progrès dans la prise en compte de la transition démographique et des évolutions sociétales, du constat que l’existence entre soixante ans et la mort se présente sous un jour nouveau. En complément des projets réalisés ou en cours à leur profit, pour leur donner la place qui leur revient[5], les aider à faire aux changements majeurs du dernier tiers du cycle de vie, nous devons également mieux connaître les nouvelles générations d’aînés, ce qui implique de mieux les écouter.

 

Mieux écouter les sujets âgés

A ceux qui seraient étonnés du choix de cet objectif, qui pensent que la connaissance et l’écoute des aînés sont des acquis partagés, notamment par les professionnels qui en prennent soin, un bref séjour à l’hôpital ou dans une résidence pour personnes âgées, leur permettra de se convaincre du contraire. A l’hôpital et dans les résidences d’hébergement l’écoute est une pratique courante mais spécifique. Du côté médical et soignant, il est beaucoup question de la santé des sujets âgés, des soins à leur prodiguer, des dispositions à prendre en leur faveur. On écoute pour évaluer un état de santé, recueillir une plainte (échelle de la douleur), faire un diagnostic, pas pour mieux comprendre comment les aînés font face aux transitions, crises et ruptures du dernier tiers du cycle de vie, pour tirer un enseignement de leur expérience. Les sujets âgés sont rarement considérés comme des personnes dont l’expérience de vie, les questions qu’elles se posent, méritent d’être prises en compte.

 

Les obstacles à l’écoute

On doit citer en premier ce qui est commun à l’ensemble de la population : les représentations sociales négatives du dernier tiers du cycle de vie, la difficulté d’accepter le vieillissement et la finitude[6]. A ces données s’ajoutent ce qui découle du choix de métier de soignant, la croyance dans l’efficacité de la médecine, médecins et infirmiers sont là pour soigner, pour améliorer l’état de leurs patients. Ils attendent des personnes dont ils prennent soin qu’ils montrent qu’ils ont bien fait leur travail, qu’ils ont servi à quelque chose, et incidemment qu’ils donnent une belle image d’un destin redouté. Mais dans le cas présent l’issue de leur combat pour la vie et contre la mort n’est que trop prévisible, les personnes âgées renvoient les soignants à un sentiment d’impuissance, à la perte de leur pouvoir, sans que ce sentiment soit compensé par l’idée de l’utilité de leur rôle d’écoutant[7].

 

Ecouter pourquoi : les motifs en faveur d’une meilleure écoute des sujets âgés

 

Pour mieux les connaître

Les sujets âgés ont une approche spécifique de l’avancée en âge. Une approche qui, au côté des discours socio-économiques, médicaux et médico-sociaux du vieillissement, a sa place en gérontologie. Les écouter permet aussi d’apprendre ce qui est important pour eux, comment leur être utile.

 

Pour qu’ils continuent à se considérer comme des sujets

Pour qu’ils aient une autre image d’eux-mêmes que celles que leur renvoient les médias et la presse spécialisée. L’écoute permet au sujet âgé d’être reconnu, d’avoir le sentiment de compter pour quelqu’un, de faire l’expérience de la rencontre. L’écouter, c’est s’intéresser à lui, le considérer comme un sujet capable d’éclairer ses interlocuteurs sur des aspects de l’existence qu’ils ignorent, et non comme une personne anonyme, un numéro de chambre, l’occupant d’une place dans la salle à manger.

 

Pour les aider à faire face aux transitions et ruptures du dernier temps du cycle de vie

En permettant à la personne de s’exprimer, de mettre en mots ce qu’elle vit et ressent, l’écoute lui permet d’avoir une perception plus riche et nuancée d’elle-même et de sa trajectoire de vie, de mobiliser ses capacités réflexives pour mieux comprendre et faire face aux transitions, crises et ruptures, qu’elle doit affronter.

 

Pour apprendre de leur expérience

Les aînés ont des savoirs à transmettre aux générations qui les suivent, une expérience, des découvertes à faire, et à communiquer aux autres membres de la société sur une tranche de vie que la majorité d’entre eux seront appelés à parcourir un jour.

Les écouter permet de se démarquer des stéréotypes, des idées toutes faites, à avoir moins peur de la vieillesse, à découvrir des aspects de la condition humaine préalablement négligés.

Une écoute centrée sur l’expérience existentielle des aînés

Dans la vie quotidienne on capte des messages, des signes, des informations qui nous permettent de nous orienter, de diagnostiquer et de faire. Mais on se donne rarement les conditions d’écouter dans le sens de découvrir, de se laisser surprendre, d’accéder à des ressentis et à des réflexions généralement cachés[8].

Une écoute attentive à l’expérience et au positionnement existentiel des sujets âgés, demande d’aller au delà de ce qu’on entend habituellement par ce terme, dérivé du bas latin ascultare altération du latin classique auscultare[9]. Elle ne considère pas la personne écoutée comme un sujet souffrant ou en difficulté psychologique, attitude couramment adoptée avec les sujets âgés, mais comme un auteur et un acteur de sa vie, à même de mobiliser ses capacités d’analyse pour faire le point, envisager avec plus de sérénité les années qui lui restent à vivre, inventer des manières d’être et de penser qui lui sont propres. Dans le prolongement de ce qui a été écrit précédemment, il est possible de préciser la disponibilité intérieure dont il est ici question, en se référant à la distinction que fait Joëlle Caullier entre écouter et entendre, dans le domaine de l’art :

 

« L’écoute réclame du sujet une posture analytique, volontaire, ancrée dans la raison qui lui permet de verbaliser ce qui est entendu et de dominer par la pensée l’objet venu du monde extérieur.  L’entendre  implique une totale disponibilité de l’être à l’ensemble de ses perceptions et aux transformations qu’elles induisent. » [10]

 

Conclusion

En arrière plan des progrès réalisés en matière d’espérance de vie et d’état de santé, l’existence entre soixante ans et la mort comporte des évènements qui constituent une initiation à des aspects de la condition humaine, au début ignorés, ou tout au moins mis de côté, et qui s’imposent de plus en plus au fur et à mesure qu’on avance en âge. Par rapport à des questions telles que la manière de conduire sa vie, le choix de ses priorités, les pertes qu’il doit assumer, la confrontation avec la finitude, seul le sujet humain, membre d’une société et à un moment historique donné, est à même de trouver les réponses qui peuvent le satisfaire[11], de donner du sens à ce qu’il vit. Ceci à condition qu’il puisse y réfléchir et bénéficier pour cela de la présence d’une personne possédant les connaissances nécessaires et suffisamment disponible pour l’accompagner dans sa réflexion. Pour aider le sujet âgé à faire face aux changements et aux crises de ce temps de vie, l’entretien et l’écoute sont les démarches à privilégier.

 

Notes

[2] « Le droit de mendier était tacitement reconnu comme une sorte de retraite accordée par la société à des travailleurs qui avaient été constants, fidèles, exacts dans l’accomplissement de leurs devoirs chrétiens. »  Sylvère A., Toinou, le cri d’un enfant auvergnat,  Paris, Plon,  collection Terre Humaine p. 210

[3] Cf. la troisième partie de la thèse d’Elise Feller, Vieillissement et société dans la France du premier XXe siècle, qu’elle a intitulée «  Du vieillard au retraité, la construction sociale de la vieillesse » (Feller E. 1996)

[4] Sterdyniak H. interview du journal Le Monde du 28 août 2013

[5] « Les aînés ne sont plus de petits vieux, mais des personnes souvent dynamiques et en bonne santé. Une femme de 60 ans a près du tiers de sa vie devant elle. Nos sociétés vont devoir donner du sens à ce temps gagné sur la mort, c’est-à-dire une valeur symbolique, une utilité. Demain, les anciens ne se définiront plus par la simple opposition au monde du travail ou aux jeunes, mais par leur nouveau rôle social et les activités qu’ils seront amenés à remplir, au sein des associations, par exemple. » Jean-Louis Lespes «Un enfant sur deux deviendra centenaire» propos recueillis par Bruno Abescat  l’Express du 26/08/1999

[6] Images de la vieillesse et de la mort d’un groupe de professionnels d’un EHPAD

« Pour moi, la vieillesse, c’est la chute, la perte, la dégradation, la partie du voyage que chacun doit faire un jour et qu’il redoute. – Le futur me fait peur, je n’ai pas envie de vieillir, qu’est ce qu’on va devenir ?  – Vieillir c’est être dépossédé de tout ce à quoi on est attaché, le corps dénudé, l’obligation de suivre un rythme de vie qui vous est imposé. Moi j’ai très peur de la mort, elle me perturbe, mourir c’est tout quitter. – Je n’ai pas envie de vieillir, je suis dans la nostalgie du temps passé. – Je vis au présent, aujourd’hui on est là, demain on ne sait pas. »

[7] Tout en déplorant de manquer de temps pour écouter les personnes dont ils prennent soin, les soignants ont des difficultés, il faut de la formation pour cela, à donner de la valeur à un moment d’écoute ou de présence « non technique » auprès d’eux. Le monde soignant n’a pas une vision précise des effets de l’écoute et de ce fait ne lui donne pas les conditions opératoires où elle est capable de produire des effets.  Quant à la parole échangée entre soignants, souvent considérée comme un bavardage, elle est encore plus objet de suspicion.

[8] On le fait dans ses moments de liberté, en lisant un livre, en écoutant un ami, un musicien ou un

conférencier, rarement dans son travail.

[9] Au début de l’année 1818, le docteur René Théophile Laennec invente un nouveau moyen d’écouter le cœur et nomme son instrument stéthoscope (du grec stêthos, poitrine, et de scope du grec skopos, de skokein, examiner, observer). Le 15 août 1819, il publie son livre  De  l’auscultation médiate, ou Traité des diagnostics des maladies des poumons et du cœur  fondé principalement sur ce nouveau moyen d’exploration.

[10] Caullier J. «  L’art d’entendre : un chemin vers la connaissance » article à paraître p. 11 et 12

[11] Lepresle E. « La finalité de la vie n’est pas un concept scientifique. » Thèse de doctorat de philosophie « La fabrique du mourant » sous la direction d’Eric Fiat, Université de Marne la Vallée.

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