L’attractivité des métiers de la santé (3/3)

Rencontre des coordonnateurs des sections Bac pro ASSP Lycée Jacques Duhamel – Dole – 29 novembre 2023

Les établissements d’hébergement des sujets âgés ont des problèmes de recrutement de nouveaux professionnels et il a été demandé aux institutions en charge de leur formation de prendre des initiatives pour valoriser les métiers de ce secteur d’activité et pour inciter les élèves et les étudiants à y postuler un emploi.Une première rencontre d’enseignants et de coordonnateurs des sections Bac pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) a eu lieu le 29 et 30 novembre 2023 et m’a permis de répondre aux questions suivantes :

  1. Comment aider les enseignants à changer de regard sur le métier d’AS pour qu’ils puissent, eux-mêmes, convaincre les élèves de s’orienter vers ce métier ?
  2. Comment se passe actuellement la prise en charge de la personne en perte d’autonomie en EHPAD (élargir les propos pour donner d’autres lieux d’accueil possibles et leurs modes de prise en charge) ?
  3. Quelles pistes exploiter pour préparer les élèves aux PFMP (stages) par rapport au regard qu’ils peuvent porter et ce sans avoir peur de la vieillesse

J’y réponds dans une série de trois articles dont voici le dernier :

Quelles pistes exploiter pour préparer les élèves aux PFMP (stages) par rapport au regard qu’ils peuvent porter et ce sans avoir peur de la vieillesse par rapport au regard qu’ils peuvent porter et ce sans avoir peur de la vieillesse (comment appréhender la nudité, le corps qui change, l’odeur…) (1)

Les précautions à prendre

Pour s’assurer que les apprenants tireront profit de leurs stages, une collaboration doit être établie avec les tuteurs chargés de leur formation, notamment pour choisir les actes à leur confier et éviter qu’ils soient confrontés à des situations qui pourraient susciter chez eux une attitude de rejet ou les traumatiser. Ces précautions prises, pour préparer les élèves aux périodes de formation en milieu professionnel, on peut commencer par une présentation des obstacles à la relation avec les sujets âgés et poursuivre avec des exemples de dispositifs pédagogiques et de méthodes à privilégier pour former les futurs professionnels à la relation et à l’échange avec les sujets âgés.

Les obstacles à la relation avec un sujet âgé

Dans les obstacles qui peuvent mettre les élèves en difficulté, trois méritent une attention particulière.

Les représentations sociales globalement négatives des sujets âgés

La relation que le professionnel établit avec les aînés, la manière dont il conduit les entretiens, et les objectifs qu’il retient, dépendent de ses représentations de l’avancée en âge et des sujets âgés, de l’idée qu’il se fait de leur marge d’initiative et de leurs capacités créatives.
Or la plus grande part des images qui sont montrées des personnes âgées proviennent des services où elles sont accueillies lorsqu’elles ne peuvent plus prendre soin d’elles- mêmes. Transmises par les médias, relayées par les discours des familles qui y hébergent un des leurs, elles préparent à la déception. Comme l’avait relevé il y a plus de vingt ans un groupe de travail du Haut Comité de la Santé Publique (devenu le Haut conseil de la santé publique), la plus grande part des images qui sont montrées des personnes âgées proviennent des services où elles sont accueillies lorsqu’elles ne peuvent plus prendre soin d’elles-mêmes. Transmises par les médias, relayées par les discours des familles qui y hébergent un des leurs, elles préparent à la déception.

Une perception des limites de l’existence, différente de celle que partagent les élèves et les étudiants
L’être humain n’a pas une approche du temps dont il dispose identique tout au long de sa vie. Après une période où sous l’emprise de l’illusion d’éternité, il lui est impossible de croire qu’il sera vieux un jour, il passe sans transition à la prise de conscience de l’irréversibilité et des limites du temps qui lui est imparti.

Carl Gustav Jung (2) a relevé qu’« à partir du solstice du milieu de la vie s’effectue un retournement, une réorganisation des forces psychiques, un renversement qui porte sur les valeurs, les croyances, les idéaux et les attitudes. » (3) et Elliot Jaques (4) que « l’entrée sur la scène psychologique de la réalité et de l’inévitabilité de notre propre mort personnelle à venir constitue le point crucial et central du milieu de la vie, le facteur qui rend critique cette période. »
Partageant cette conception d’une rupture dans l’expérience de la temporalité humaine, Gérard Le Gouès (Le Gouès 2000 p. 14) (5) estime que le vieillissement psychique commence « au moment où le fantasme d’éternité rencontre une limite jusque là ignorée par la libido, lorsque ce fantasme est mis à mal par l’apparition d’un fléchissement durable. » Pour ce psychanalyste : « Le vieillissement nous confronte à la perspective de la fin. L’arrivée de la mort sur la scène mentale provoque une crise existentielle de première grandeur, quand ce n’est pas la plus importante.» Si chaque individu doit faire face dès sa naissance à des changements, des crises et des séparations, vient un moment, variable selon les personnes, où les mots d’épreuve et de rupture n’ont pas le même sens que durant les périodes antérieures.

Une vision du soin comme violation d’un interdit

L’être humain se met habituellement à l’abri du regard des autres pour procéder à des activités comme faire sa toilette, s’habiller, et il ressent la présence d’un tiers dans ces moments comme une violation de son intimité. De leur côté les élèves et les étudiants durant leurs stages et au début de leur carrière, peuvent avoir des difficultés à prodiguer des soins à des personnes qui ont souvent l’âge de leurs parents ou de leurs grands parents et dont le corps parle sans mots de la finitude. Si le refus du vieillissement est présent aux différents âges de la vie, il prend dans leur cas une grande importance lorsqu’il se combine avec des interdits parentaux et peut être alors un obstacle à la communication.

Démarche préconisée pour faciliter aux élèves l’entrée en relation et l’échange avec les résidents

Le rôle irremplaçable de la parole pour établir une relation

Nous ne sommes faits que de langage, rien d’autre que le langage ne nous sépare vraiment du monde animal. Prodiguer des soins et aider un sujet âgé peut être vécu comme une humiliation s’ils s’effectuent dans le silence. A l’inverse échanger avec la personne lui donne le sentiment d’exister comme un sujet dont l’histoire de vie et les réflexions retiennent l’intérêt, méritent d’être partagées.

Aider les élèves à améliorer leur pratique de l’expression et du partage de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils éprouvent
Pour aider les élèves à avoir moins peur du langage, à en accepter les risques et les chances qu’il les fait courir, l’enseignant peut adopter une démarche didactique, leur présenter les connaissances théoriques et pratiques de l’entretien et les différents types de langage, exposer les incidences de l’âge et des représentations de la vieillesse sur les modes de pensée de l’écoutant. Mais les études de Kurt Lewin ont montré les faibles résultats d’une démarche de ce type lorsqu’on vise un changement d’attitude ou de pratique (6). Il est préférable de partir de l’expérience des élèves et de les inviter à réfléchir sur ce que représente pour eux le fait de communiquer, s’exprimer, donner son point de vue, écouter une personne et dialoguer avec elle. Ce travail demande au professeur de remplacer provisoirement son rôle d’enseignant dispensateur de savoir par celui d’animateur de groupe et de facilitateur de l’expression de ses participants et de retarder le moment des apports théoriques. Il lui demande aussi de faire appel à un dispositif qui les guide dans leur réflexion. Voici à titre d’exemple un exercice destiné aux élèves et aux étudiants à mi parcours de leurs stages en EHPAD, et aux professionnels au début de leur carrière, pour leur permettre de changer leur représentation de la vieillesse et de considérer autrement les sujets âgés.

Promouvoir un changement de représentation de la vieillesse et faciliter leur connaissance et leur relation avec les sujets âgés
Les élèves et les étudiants ont une perception négative de la vieillesse, ne se voient pas ressembler un jour aux résidents qui leur sont présentés durant leurs stages. Voici quelques exemples de leur vision de ce temps de vie : « Pour moi, la vieillesse, c’est la chute, la perte, la dégradation, la partie du voyage que chacun doit faire un jour et qu’il redoute. Le futur me fait peur, je n’ai pas envie de vieillir, qu’est ce qu’on va devenir ? Je n’ai pas envie de vieillir, je suis dans la nostalgie du temps passé et je vis au présent. Aujourd’hui on est là, demain on ne sait pas. »
Pour que ces futurs professionnels changent leur regard sur la vieillesse, voient les sujets âgés comme des personnes semblables à toutes les autres, avec leurs préférences leurs questionnements et leurs projets, un temps de réflexion leur est proposé sur leurs connaissance des sujets âgés et sur ce qu’ils partagent avec eux, d’abord individuellement et par écrit puis en grand groupe, à partir des questions suivantes :


1. Ce qui m’attache à l’existence et qui fait que je suis heureux (se) de vivre. Ce qui me plait dans ma vie de tous les jours, les moments de la semaine, du mois, de l’année que j’attends, les évènements plus lointains, mes projets pour le futur. Ce qui est difficile pour moi et que j’appréhende.

2. Quant est-il des résidents ? Ce qu’ils apprécient, quotidiennement, dans la semaine et dans le mois, les évènements et les rencontres qu’ils attendent et ceux qu’ils redoutent. Ce que les professionnels connaissent de leurs intérêts et de ce qui donne du sens à leur vie.

L’exercice leur permet de faire le point sur leur connaissance des modes de pensée et des intérêts des personnes dont ils prennent soin ou qu’ils aident dans leurs activités quotidiennes. Cessant de les voir exclusivement comme des personnes fragiles et vulnérables, ils les perçoivent comme des sujets engagés dans un moment particulier de leur vie, dont l’expérience, les réflexions et les découvertes méritent d’être prises en considération. Ou comme l’a énoncé une stagiaire : « Les résidents sont des sujets à part entière ayant un passé, un présent et un avenir et pas seulement des personnes dont il faut prendre soin ».

Proposer aux apprenants de se focaliser sur ce qu’ils partagent avec les sujets âgés
Sans qu’elle en ait conscience la société française fait beaucoup pour considérer les sujets avancés en âge comme des personnes sans projet et sans avenir et pour les mettre dans une catégorie à part. S’inspirant du langage médical elle les voit surtout comme des personnes fragiles, qui souffrent de pathologies chroniques invalidantes et qui ont besoin d’être aidées dans l’accomplissement de leurs activités quotidiennes.

Or plutôt que de mettre l’accent sur ce qui les distingue, il faut au contraire relever ce que les aînés partagent avec les autres membres de la société et en particulier avec les élèves et les étudiants. Avec ces derniers les sujets âgés partagent la nécessité de faire face à des changements, des transitions et des ruptures qui leur demandent de revoir leur organisation de vie, de s’investir dans de nouveaux liens, de se trouver de nouveaux centres d’intérêt. Cette perception de la vie comme une suite de changements, de remises en cause de soi, d’accumulation d’expériences et de découvertes est récurrente dans les discours des jeunes. Elle l’est aussi dans ceux des personnes âgées, comme l’illustre ce constat de Madame F. 84 ans, ancienne enseignante, veuve depuis 10 ans :

« Il faut prendre la mesure de la complexité de notre situation : Arriver à se construire une nouvelle existence en renonçant à reproduire à l’identique ce qu’on a connu auparavant, accepter de se remettre en question, réaliser des projets longtemps mis en suspens, trouver un équilibre entre la part de son temps consacrée aux autres et celle réservée pour soi, être plus disponible pour ses proches, notamment en cas d’accident, de maladie, assumer les décès de personnes aimées et se retrouver ensuite avec ses souvenirs, des pensées qui n’ont pas pu être partagées et sans transition être sollicité pour résoudre des problèmes de succession. Chaque année il y a de l’ordre à faire chez soi et dans sa vie. Trier, donner, jeter, prioriser, se recentrer. Tout ceci n’est pas facile, ne laisse pas indifférent. Il faut savoir trouver des moments pour y réfléchir, revoir ses projets immédiats et ceux à plus long terme. »

Conclusion

Tous les élèves qui suivent une formation Accompagnement, Soins et Services à la personne (ASSP) ou qui préparent le diplôme d’Aide Soignant n’ont pas pour objectif de rejoindre un EHPAD. Mais il est important que le cursus qui leur est proposé leur permette de se familiariser avec les objectifs et les modes de fonctionnement de ces institutions, de développer leurs capacités d’écoute et d’expression, de changer leurs représentations des sujets âgés et de mieux les connaître, de se sentir utile et de découvrir l’importance de l’aide qu’ils peuvent leur apporter.

1 Mes remerciements aux professionnels d’EHPAD et aux enseignants qui ont participé au projet intitulé : Amélioration de la formation des futurs professionnels d’EHPAD et ont montré le soin pris à la préparation des apprenants aux stages de formation en milieu professionnel, avec le recours à une grande variété d’exercices et de mises en situation.
2 Jung C. 1976, – Problèmes de l’âme moderne, Buchet Chastel, Genève
3 Cité par Anastasia Blanché, 2007 « Approches psychanalytiques du vieillissement » dans Gérontologie et Société « Ruptures- passages », n° 121 juin, p. 11 et 13
4 « Death and the Midlife Crisis », International Journal of Psychoanalysis, 1965. Kaes R. et al .Jaques E.
5 Gérard le Gouès est un des quatre psychanalystes qui avec Jean-Claude Arbousse Bastide, Paulette Letarte et Henri Danon-Boileau, ont ouvert la voie en France à l’écoute psychanalytique des sujets âgés.
6 Lewin K. 1943, « Forces behind food habits and methods of change », dans Guth C.E., Mead M. “The problem of changing Food habits” Bulletin of the national research council, National Academy of Science, Washington n° 108 October, p. 35 à 65

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *